mardi 3 mai 2011

Histoire belge au bord du Rhône




Ma première Arlésienne



Comme un jeune puceau submergé par l’excitation d’une première nuit torride, il découvrait les plaisirs de l’Arlésienne.

Jeudi 21 heures, départ de Liège pour un voyage à quatre. Dans la voiture Patrice, Sabrina « Chouchou », Stéphanie et moi. Patrice est déjà dans sa Feria, le jeune aficionado a tout préparé 1 kg de chips, des sucreries et à boire pour un voyage de moins de 10 heures. Aura-t-on assez ?
Au programme du voyage Pasodobles et une tonne de questions sur la corrida, j’essaye de répondre comme je peux, cette passion me touche, j’étais pareil à mes débuts, toujours à poser des questions pour en savoir plus. J’aimerais tant qu’il garde à jamais ce regard enthousiaste sur ce spectacle brutal et que l’émotion continue à l’emporter sur la raison. A l’arrière les femmes somnolent, Stéphanie est déjà dans sa Feria, Sabrina pense certainement à ce qu’elle ressentira lors de son premier contact charnel avec le monde de la corrida.

Vendredi 10 h 30 on arrive dans Arles, non sans avoir fait une halte à Dijon dans un hôtel de routier pour quelques heures de sommeil bien méritées. Arles s’éveille, les terrasses s’installent, le brouhaha de la Feria envahira dans quelques heures le boulevard des Lys, entretemps les arlésiens, mélange d’espagnols, gitans et beurres, ne s’agitent pas trop ce sont des gens du sud, on ne se stresse pas dans le Sud.
L’arlésienne est belle, son âme est chaude, dans ses veines coulent des histoires d’hommes et de taureaux, j’en tombe amoureux au premier regard. Nous nous dirigeons d’un pas pressé aux arènes romaines. Malgré son imposante allure, elle se veut timide entouré par d’innombrables petites maisons d’où sortent des effluves de pastis et d’ail. Ce matin, novillada sans picadors. Au cartel espagnol, mexicain(e) et français. Première émotion, on se retrouve entre amis, de cette amitié saine que je ne trouve que dans le monde de l’aficion. Meryl, Manu, les Guy, Marc, Maurice, Philippe et d’autres, nous voilà réunis, les embrassades sont franches, amicales et familiales.

11 h La novillada de Tierra d’Oc a enfin débuté, à vue d’œil plus de 2.000 personnes sont venues voir les débutants. Les novillos de bonne présentation sortent bien, les apprentis toreros transmettent peu d’émotions, il semble tous sortir d’un même moule avec certaines petites nuances… Mais soudain sort Paola, jeune mexicaine machote, elle déploie son capote les véroniques s’enchaînent pour terminer par une demie au centre, les tendidos grondent. On se regarde avec Meryl qui me lâche son habituel « c’est bon ça », j’acquiesce sourire aux lèvres. Paola prend la muleta, l’arène retient son souffle, on sent que ça va faire du bien. On ne se trompait pas, du toréo, du vrai, un air de Morante… Elle met les reins, le jeu de poignet est très bon, ce seront les plus vrais olé de la Feria, elle manque de métier mais ce diamant ne demande qu’à être taillé. Je veux te revoir Paola, tu m’as charmé.
La course se termine, dehors tertulia habituelle, Paola est sur toutes les lèvres, son goût est agréable et léger. Soudain apparaît Sabrina, les yeux pétillent, le sourire est large, le verdict sans appel avec son accent liégeois « j’ai adoré, je reviens cet après-midi et je veux voir toutes les corridas de la Feria ». On est heureux, Sabrina s’est convertie.
On va voir le loup, pastis au rendez-vous, dans la rue on s’embrasse avec les amis habituels des Ferias, le temps est doux, on sent qu’on vit, on est heureux…

17 h 30 On vit à la tradition des Ferias française avec course le matin et l’après-midi. Au départ j’étais peu emballé par cette tradition, à l’arrivée j’adore ces journées pleines de toros. C’est du lourd alternative de Tomasito, avec El Juli et Manzanares, toros de Garcigrande. Les toros nous auront surpris par leur présentation et leur jeu, Juli est égal à lui-même une technique parfaite, dominateur, juste dans ses touchés de capes, toujours à la bonne hauteur, dommage qu’il torée de si loin, son premier toro plein de noblesses sera même indulté mais ce ne sera que pour la petite histoire, le public me déçoit je croyais la France taurine plus sérieuse… Son second toro est plus compliqué mais Juli reste El Juli, alors qu’un autre aurait sous douté séché, lui arrive à mettre le toro dans sa muleta et à lui faire ce qu’il veut, grand moment de lidia… Manzanares, l’esthète, ne m’a pas déplu, un jour peut-être arrivera-t-il à me convaincre, son côté artiste passe plutôt bien mais il manque de remates à mon goût… Tomasito, pauvre Tomasito, ce regard triste, cet air de Manolete… Il reçoit son premier porta gaiola, au lieu du silence habituel pour une passe si risquée, en Arles, le public tape des mains comme si on se préparait à voir un sauteur à la perche. Ces applaudissements me dérangent. Le toro est bon, Tomasito l’est moins, il manque de planche… il manque d’un entourage taurin qui l’aurait mieux préparé pour un tel évènement. Second toro, l’air est toujours aussi triste, il brinde à l’arène, jette sa montera qui tombe à l’envers, son visage se décompose un petit peu plus, il a l’air de sentir que l’après-midi va tourner mal… et effectivement après s’être placé au centre de l’arène, sans même avoir donné une passe, le toro le prend, les femmes hurlent, il vole comme un chiffon, la corne le pénètre par deux fois… baptême de sang comme matador de toros, pauvre Tomasito, il ne méritait pas ça.

On sort de l’arène, à notre tour de rentrer en piste, la nuit de Feria peut commencer.

Premier tercio à l’Espace Van Gogh, Philippe, notre ami Président du Ruedo Newton, présente le prix littéraire, on l’indultera à la fin de la conférence, récompense suprême réservée aux vrais braves. Ricard offre l’apéro et les tapas, on est heureux, on refait la course, on rencontre le mundillo parisien et arlésien. Whiky whiky whiky, je m’embrume, l’arlésienne frappe à ma porte, je la trouve délicieuse.

Deuxième tercio Passage obligé à la Bodega des Amis de Roman Perez, dans laquelle trône le toro de Jupiler, un petit clin d’œil à nous les belges… La nuit va être chaude, sangria, champagne, vin et bière, tout y passe, dans la brume je vois toujours l’arlésienne, elle m’entraîne sur des danses chaudes et endiablées, un goût d’interdit m’envahit, heureusement pour moi, mon fidèle ami Meryl veille au grain, m’attrapant par le collet et me remet dans une certaine réalité.

Troisième tercio J’ai failli me prendre la puntilla, retour au campement… L’Arlésienne est douce et chaude, je m’endors dans ses bras comme un nourrisson.

Samedi 10 heures réveille en colonie de vacances, notre appartement ressemble à celui de jeunes étudiants partis en Erasmus, brouhaha et foutoir, j’adore ça pour le petit déjeuner qu’on ne prendra pas. IL PLEUT ça doit être Stéphanie qui porte la poisse, elle traîne toujours avec elle un jour de pluie d’après ses dires. On arrive aux arènes sans illusion, la novillada ne se donnera pas, soi-disant pour préserver la piste… « L’apéro va être long » me souffle le Marquis Emergencia. Je prends finalement un petit déjeuner aux pieds des arènes, œufs et jambon, la serveuse est ravissante, vive l’arlésienne…la revoilà.

L’après-midi se passe on mange, on rit et on boit. Qu’elle est belle cette Feria avec ces innombrables rencontres. A 16 heures entrevue avec Philippe et une journaliste de la fameuse « LA PROVENCE », Philippe et moi parlons de notre passion commune, de nos peñas, le ton est cordial mais très vite nous partons dans un délire érotico burlesque qui amuse fort notre interlocutrice. Séance photo. Départ pour la corrida.

17 h 30 corrida de Nuñez del Cuvillo pour Juan Mora, Juan Bautista et El Fandi. L’attraction du cartel reste le quadragénaire Juan Mora, son lot ne lui servira pas. Malgré ça, ces 4 capotazos et 4 ou 5 muletazos nous réconcilient avec le toréo pur, le vrai. Juan Bautista est égal à lui-même grande technique, faible à gauche, il enthousiasme le public par son rythme, les oreilles tombent, pour l’émotion on repassera. El Fandi venait banderiller, mission accomplie. Tarde à oublier ou du moins tarde qui ne restera pas gravée dans ma mémoire. Je sors des arènes, je rencontre Marc Serrano et nous faisons un bout de chemin, j’aime beaucoup ce Maestro, il est torero ça se voit, ça se sent, le pas lent, la démarche sûre, nous parlons des toros, du mundillo, de sa saison, je profite du moment.

21 h 30 Rendez-vous à la Bodega des Amis de Roman Perez, qu’on n’aura pas vu de la Feria (dommage), on devait remettre un prix pour la novillada, mais la suspension en a voulu autrement. Malgré tout un prix est décerné à Patrick Laugier, l’homme aux allures de rugbyman, est un peu rustre mais très attachant, on se fait un plaisir de le recevoir à Bruxelles avec Marc Serrano. Les nuits vont être courtes, Patrick aime la fête. Très vite je succombe aux plaisirs de l’Arlésienne, une jeune femme blonde au regard dur et sourire d’ange me captive, je suis envahi par la fougue de l’adolescence, sur un perron on échange quelques baisers, moments magiques d’une étreinte furtive, 4 heures du mat … putain et pas de taxis dans Arles. 5 h finalement au lit, qu’elle est belle l’arlésienne mais je succombe à une parisienne.

9 h 15 réveil dur, gueule de bois, on est dimanche, moitié de Feria. En route pour les arènes, corrida d’Olivier Riboulet, l’ami ganadero m’ayant offert ma plus corrida de toros, j’ai un énorme espoir dans ses toros, moins dans les matadors, Luis Vilches, qui torée le lendemain à Sevilla, Israel Tellez, qui revient de blessure et Marco Leal, l’arlésien de service. 6 Aurochs sortent des chiqueros, presque 6 ans, monté comme des buffles, les picadors volent à chaque charge, on se croirait au 19ème siècle. Malheureusement, ils sont un peu tardos dans la muleta, mais une fois que les hommes devant ont le courage de la laisser sur le museau et de tirer de l’animal, les toros réagissent avec une certaine classe. Il faut être couillu pour rester devant, les matadors ne le sont pas assez et doivent constamment se replacer. On sort déçu, rendez-vous à Saint-Gilles le 25 juin pour revoir les toros d’Olivier.

13 h 00 on se retrouve chez Pierre, le papa de Jérémie, qui nous loge durant la Feria. Un dîner de famille entre amis, je suis le dernier venu dans la famille, à table Pierre, Jérém, Pierre-Yves, Manu, Méryl, Stéph, Marie, la maman et moi. Je me veux discret, ce sont des moments à eux, chaque année le même rituel, on parle toros mais pas trop fort, car Marie n’aime pas ça, on se vanne, on rit… Pierre en patriarche préside la table et savoure chaque instant qu’il passe à nos côtés, le moment est émouvant, mais d’une belle émotion celle qui nous manque dans l’arène. Merci à cette famille pour l’accueil qu’elle m’a réservé, pour m’avoir adopté. Qu’elle est belle l’Arlésienne, même sous son air maternel. Mon esprit s’évade et se pose sur une parisienne au regard dur et sourire d’ange…

17 h 00 corrida de Fuente Ymbro, pour Victor Puerto, Abellan et Tejela, cartel qui peut créer la surprise. Victor Puerto a une certaine élégance mais son lot ne sert pas, il est a gusto et prolonge trop ses faenas, le public qui me déçoit encore un peu plus le siffle injustement. Miguel Abellan sort en piste, son premier est un jabonero, bonito, bien au capote, la faena de muleta démarre en force, Abellan met l’animal à distance, un toque est sa démarre, faena d’empaque, sans trop baisser la main, les tendidos grondent, enfin un peu d’émotion, la seconde série est aussi bonne, on sourit, notre Feria taurine prend de l’allure, malheureusement Abellan comme à son habitude se conforme, il ne va pas chercher ses deux oreilles que le toro lui tendait. Estocada un peu caida, oreille, il nous avait mis l’eau à la bouche, on reste sur notre faim. A son second, de nouveau bonne faena, les naturels sont lentes, par en bas, ça fait du bien de le voir toréer. Dommage, le toro a moins de force, on restera sur notre faim, une autre oreille. Tejela bâcle au premier, à son second de menos a mas, une autre oreille, on s’en va avec ce goût de trop peu, pour une bonne corrida.

20 h 00 J’ai rendez-vous comme protagoniste de la tertulia des Chiquillos d’Arles, 200 personnes ont fait le plein d’une jolie cour arlésienne, je m’enfile 2 San Miguel comme pour me donner du courage avant d’affronter la foule. Le discours est assez plat, je sors un peu des sentiers et ose même quelques doblones sur le mundillo arlésien, je risque le lynchage, heureusement je sors indemne.

22 h 00 Bodegas, sangria, champagne, vin, etc etc la nuit est encore une fois longue, ma parisienne est résistante, un brin chiante, j’adore ça, je craque, elle résistera. Il est tard et toujours pas de taxis… L’arlésienne est déjà nostalgique pour une fin de Feria…

Lundi dernier jour
11 h 00 tienta à Fontvieille, Morenito de Nîmes, Juan Bautista et un practico, accompagnés de quelques élèves des écoles taurines du coin. Ca fait du bien de revenir aux racines d’une bonne tienta, on prend plein de plaisirs, les maestros et le practico, sont vraiment bien face à d’excellentes vaches des frères Granier. Dans les tendidos, pan y salchichon…

13.30 Meryl et sa maman, nous ont préparé un pique-nique aux Moulins de Daudet, pour l’anniversaire du vice-président, surprise Morenito de Nîmes nous accompagne… On passe un de ses moments inoubliable, simple et doux, on parle de toros, toreros, foot, gay, bas roses, costume de lumière, cuisine provençale. On aimerait que ça dure encore des heures tant on est bien. Mais la corrida de Miura nous attend.

17.00 Enfin la miurade débute, si peu d’émotion face à des miuras trop nobles, El Fundi, Alberto Aguilar et Medhi Savalli, nos esprits sont ailleurs, nos yeux brillent d’une certaine tristesse de fin de Feria, la nostalgie m’envahit fort, si je pouvais me cacher derrière des lunettes mes larmes couleraient, on sait que demain tout redeviendra comme avant, au loin je vois l’arlésienne me saluer de la main et s’en aller vers l’an prochain. Je pense à ces 4 jours de folie, à la parisienne du nord, aux Andalouses, à la Bodega, mon cœur est lourd, rien ne sera plus pareil. Fundi affiche un bon niveau à son premier toro, mais reviendra-t-il un jour à son meilleur niveau ? Aguilar est pris de panique face à ses deux toros qui retournent presque vivant aux corrales. Savalli me plaît à son premier toro, le torero a mûri, il peut marcher dans ces corridas dures. Alors que tout semblait devoir s’éteindre avec douceur, l’orage gronde sur nos têtes pour nous sortir de notre léthargie, Savalli fait le chaud, fait le show, l’arène vit, la Feria meurt. Nous quittons les arènes sous des larmes de pluie. Premiers au revoir.

On passe chez le loup, les rues se vident, on se retrouve entre belge, on rigole encore un peu pour ne pas pleurer. Heureusement, nous amorçons une lente descente dans un petit resto arlésien en douceur entre amis.

La Feria est finie. Les cuises chaudes de l’Arlésienne me manquent déjà. La parisienne ne m’attendra pas.


Esteban Salido

4 commentaires:

Maja Lola a dit…

Enhorabuena au jeune puceau belge enthousiaste. L'inventaire et le déroulé de sa Féria arlésienne prouvent son plaisir : c'est du vécu intense et apprécié ! Comme quoi, la féria s'offre à tous ceux qui veulent "y entrer" ... même (et surtout) aux gens du Nord.
Ne regrettez pas les taxis : vous n'auriez pas pu faire toutes ces jolies rencontres.

Marc Delon a dit…

Maja Lola prière de ne pas s'exciter comme ça sous prétexte qu'un puceau traverse le blog, m'enfin... c'est le fantasme de l'initiation ou quoi ?

Non... c'est bien hein, ce carnet de route-resena exhaustive d'un aficionado Bruxellois. Finalement, quand on est sur place on ne fait pas tout ça... faut rentrer manger, la famlle attend, l'heure tourne...

Anonyme a dit…

Tu aurais au moins pu corriger les fautes!
Quand je l'ai lu sur Aficion, je me suis dit que si j'étais du Sudeste je pourrais la mettre dans mon site... ;- ))

isa du moun

Marc Delon a dit…

Sud-Est, Sud-Ouest, quel rapport ? Bruxelles, Quito, Roquefort-les-pins, Tijuana, Teruel... le pays des toros est comme l'amour, il n'a pas de frontières.