mardi 9 décembre 2008

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?


AFICION...? VOUS AVEZ DIT AFICION ?...
de Jean-Charles LHEUREUX
(Hachazo)
Sa vie durant, le rigoriste Marc BERNARD se plut à évoquer l’époque de sa prime jeunesse où il franchissait subrepticement les grilles des arènes ( du côté du café de la bourse ) pour assister aux corridas sans prendre de billets... Pourtant sur le tard, il renonça à se targuer de tels faits de gloire et à rompre des piques en faveur de la tauromachie, se laissant même aller, en petit comité et sur le ton de la confidence, à convenir que la corrida n’était plus ce qu’elle avait été ( même à Palma où il faisait des cures estivales de toros ) et qu’elle pouvait être assimilée à la langue d’Esope avec son excellence et ses malignités. De son propre aveu, cette concession était motivée par l’intrusion scandaleuse du veau d’or dans les redondels désertés par les ‘’Toros-Toros‘’.

Puisque ici la sincérité est de rigueur, j’admets volontiers que les arguments de l’auteur de
‘’ Pareils à des enfants ‘’ ont pesé d’un certain poids dans la remise en cause qui, un soir où les
‘’ fauves ‘’ venus à grand frais d’outre-Pyrénées, ressemblaient à des chèvres, dessilla les yeux du revistero plein de certitudes que j’étais alors. Cette révélation ( qui n’avait rien de mystique ) devait, par la suite, être suivie de bien d’autres qui, au gré des temporadas, allaient, peu à peu, affiner mon aficion initiale. Ce n’était plus l’aveugle ‘’ foi du charbonnier ‘’ mais le raisonnable intérêt qu’on doit porter à un spectacle d’exception aux attraits subtils. Cette évolution n’était pas étonnante. Bien d’autres - et plus férus de tradition que moi - ont également ‘’ viré leur cuti ‘’ entre deux férias.
Sans doute à l’imitation de maestros de petit cartel, n’avais-je plus le ‘’duende‘’, ce feu intérieur qui transcende volonté et courage. Car, pourquoi me laisser circonvenir par le seul Marc BERNARD alors que tant d’autres représentants célèbres de l’intelligentsia d’alors ne boudaient pas leur plaisir devant des actuacions sans mérite ? Des noms me reviennent en mémoire : PAULHAN, André MASSON, CENDRARS, Michel LEIRIS ( qui signa des resenas de qualité dans Midi-Libre sous le pseudonyme de ‘’ MIGUELITO ‘’) sans oublier COCTEAU, Joseph PEYRE, MONTHERLANT, Antonin ARTHAUD, ( on ne relit pas assez son ‘’ Théâtre de la cruauté ‘’ ) et BRETON lequel affirmait qu’il ne connaissait au monde aucun spectacle plus surréaliste que la corrida espagnole...

On me soufflera : « et PICASSO ? que faites vous de PICASSO ? »
Oui, bien sûr ! mais PICASSO c’est une autre histoire ! Plusieurs fois, en effet, j’ai eu la bonne fortune d’être placé non loin de lui aux arènes de Nîmes, et parfois si prés derrière son ‘’ Premier rang des Premières ‘’ que je pouvais entendre ses propos et ceux de ses compagnons : Jacqueline, ( qui parlait peu mais haut ), COCTEAU ( peu avare de gestes et de mimiques ), André CASTEL ( qui signa lui aussi des chroniques dans Midi-Libre ) et d’autres que je ne connaissais pas. Qui se serait refusé à cette petite indiscrétion ? Et tant pis ! si, parfois, j’en étais puni car j’étais trop distrait par mon écoute pour relater tous les détails de la lidia. Au vrai, le grand Pablo se montrait plutôt discret pendant la tarde : quelques mots jetés à l’entrée du toro ou de la cavalerie...mais son attitude, la grimace qui durcissait ses traits et l’éclair de son regard étaient éloquents. Il m’est arrivé aussi de l’entendre contredire assez sèchement COCTEAU s’extasiant devant une afarolada tourbillonnante. Mais, surtout, je l’ai vu, non sans surprise, se livrer à un manège qui m’a appris beaucoup sur ses goûts tauromachiques. Un diestro - taisons son nom car il est toujours de ce mundillo... - après une faena correcte et plutôt généreuse, rata sa mise à mort, s’engageant avec une manifeste prudence dans le berceau des cornes, et après deux tentatives avortées ( on pourrait dire ‘’ piteuses ‘’...) se débarrassant de son coriace adversaire par un descabello cafouilleux.
PICASSO, dressé, lui adressa des injures que j’imaginais humiliantes pour la virilité de leur destinataire puis se rassit en maugréant. Et, un long moment plus tard, lorsque l’infortuné matador s’avança pour essayer de se racheter, muleta en main, devant son second toro, Pablo déploya largement un journal et feignit de le lire pendant toute la faena du coupable, prolongeant sa démonstration de mépris jusque et y compris pendant le tour d’honneur qu’effectua sans qu’il en soit instamment prié par la présidence, l’infortuné mauvais tueur. Ce manège, assez peu commun pour qui a payé - cher - une place de Première, me donna à réfléchir. A tel point qu’en Juin 1993 ( le Maître était décédé depuis vingt ans ) je m’offris, lors d’un déplacement à Paris, une visite à l’exposition : ‘’Toros y Toreros‘’ organisée rue de Thorigny. Cette manifestation proposait une extraordinaire synthèse de deux arts plastiques : le destin et la tauromachie. Je m’y attendais et paradoxalement, mon enthousiasme taurin s’en trouva ébranlé et se vit proposer d’autres orientations. En effet, les diverses oeuvres du grand peintre m’apparurent fort éloignées de celles des autres artistes confirmés de l’arène et notamment de GOYA dont j’étais, jusqu’alors, un admirateur inconditionnel.

Les habits ‘’ de lumière ‘’ ne tentaient pas la palette de PICASSO, palette réduite à une trichromie déconcertante : noir, gris, et vermillon. L’élégance des formes esquissées, l’harmonie des attitudes étaient occultées au profit de deux seuls gestes : le tercio de piques et la mise à mort. La seule anecdote qui rompait la répétition de ces actes essentiels étant la figuration de l’enlèvement des dépouilles des toros sacrifiés et des chevaux éventrés. Manifestement, la mort semblait à PICASSO l’unique symbole de la corrida digne d’être célébré.
Un proche ami de l’artiste - CASTEL je crois - rapportait que, dans ses trésors, Pablo possédait une collection de cartes pornographiques où l’utilisation des piques et de l’épée revêtait une signification que POPELIN n’aurait sans doute pas accepté... Ni surtout Monseigneur CADILHAC évêque de Nîmes qui, à l’étonnement de certaines de ses ouailles, affirmait publiquement ( et au travers même d’articles de presse ) en appelant parfois les écritures à son secours ! son goût raisonné pour la corrida avec mise à mort... Les arguments de ce prélat pouvant paraître assez spécieux. Ils ne me troublaient guère bien que j’ai eu l’occasion de reconnaître professionnellement leur rationalité. Mais, dans ce grand débat dont les conclusions définitives ne sont pas prêtes de nous être proposées, je pense sincèrement que la démonstration la plus troublante me fut fournie par une scène dont je fus le témoin aux arènes d’Arles au cours d’une récente Féria du riz.

Lorsque je trouvais ma place, je m’assis à côté d’un quadragénaire qui ressemblait vaguement à un Fermin RIVERA grisonnant. Je remarquais qu’il portait des lunettes noires bien que le soleil Pascal ait été cette année là, bien timide. Il répondit distraitement à mon salut de courtoisie, absorbé qu’il était - du moins me sembla-t-il - par la contemplation de la grande foule pressée sur les gradins. Puis les clarines sonnèrent et le paseo se déroula.
C’est alors que je fus étonné par le comportement de cet aficionado qui ne cessait de poser des questions à son accompagnateur. Il voulait tout savoir ! La couleur des costumes des matadors, l’ordre dans lequel ces derniers défilaient, à qui ils avaient fait l’hommage de leur cape de cérémonie, si les Alguazils revenaient vers le toril par le milieu du redondel ou en longeant la barrière...
Bien vite, la nature de ces questions me fit comprendre que mon voisin était, sinon aveugle, du moins sérieusement mal voyant ; et qu’il se fiait aux bons yeux de son compagnon pour ne rien perdre des préliminaires de la fête.
Je ne pus m’empêcher d’observer alors le comportement de ce spectateur peu ordinaire : que pouvait-il percevoir du déroulement de la corrida dont ne parvenaient à lui que des échos confus ? Je ne l’imaginais pas. Aussi fermant les yeux j’essayais de me substituer à lui et de plaquer des images sur les rumeurs indistinctes qui me baignaient. Mais ces images étaient celles d’autres faenas applaudies précédemment, ailleurs, dans des dispositions d’esprit différentes.
Ce fut une bien singulière corrida à laquelle j’assistais cet après-midi là ! Singulière parce que hors du temps, imprécise et confuse, empreinte de réminiscences et pourtant unique. Peut-être aussi moins agressivement brutale, hantée de visages ressurgis, anxieux ou triomphants ; de gestes parfaits, de naturelles de rêves, de mariposas aériennes.
Le croira-t-on ? le lendemain je renonçais à lire les resenas de ce qui avait été pour moi une corrida sans pareille... Alors, maintenant, quand on me demande quelle est la nature de mon aficion, je pense à cette Féria Arlésienne, et je ne sais vraiment plus quoi répondre...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Extraordinaire ce texte que je n'avais pas pris le temps de lire, avec toutes ces résurrections de personnages connus.
J’aime bien l’anecdote sur le mal-voyant qui vit sa corrida à travers les tumultes confus du public. Même quand on est en possession de toute sa vision, on connaît cette joie, les jours où du haut des gradins, on suit mal le déroulement de la corrida..
Gina