mercredi 4 mai 2011

Le détail qui tue...





L'affaire Arrojado





Finalement, contrairement à ce que croient les gens, presque rien ne différencie un torista d'un torerista. Il y a bien plus qui les réunit que ce qui les sépare. Les deux aiment la tauromachie, c'est déjà rarissime, comme tout deux apprécient d'être aimés. Mais là où l'un se satisfera d'être aimé par une brune décolorée, pour sa BMW et la tournée des grands Ducs qu'il financera, l'autre sera plus exigeant avec sa brune et saura créer les rapports humains qui assureront que si d'aventure il se retrouvait demain aussi démuni qu'un ver, on l'aimerai encore, pour son âme, nue, Champagne disparu et plus encore, on serait solidaire de ses affres.


C'est une différence minime qui sépare le torista du torerista, un truc très mince, un détail, une précaution logique impalpable, un papier à cigarette mental, c'est un voile du psychisme, volatile comme une fragrance, mais perceptible comme une ombre au tableau quand il n'est pas recruté. Cela peut prendre plusieurs noms, diverses appellations, cela peut être encombrant pour ceux qui n'y tiennent pas, que ceux qui l'érigent en préalable s'y réfèrent constamment. Ils ne le font pas par déficit de sensibilité ou par esprit borné épris des règlements ou parce qu'ils sont laids, ou parce qu'ils sont pauvres ou encore chiants, comme on essaye trop souvent de les faire passer. Ils l'éprouvent, tout simplement, c'est plus fort qu'eux. C'est ainsi qu'ils sont construits. C'est aussi le fruit mûr d'une culture raisonnée, durable et saine, d'une expérience, les convictions d'un long apprentissage, la certitude d'un raisonnement abouti. Feindre de l'ignorer serait comme se déclarer imposteur à soi-même et rougir tous les matins dans son miroir. Et alors y penser, pas qu'en se rasant. Puis se laisser pousser la barbe pour stationner moins longtemps devant le miroir écoeurant. Comme quoi, les ayatollahs ne sont pas tous forcément barbus. Poil à leur cul.


Alors, et même si je n'ai pas vue cette course où ''courageux à l'extrême'' alias Arrojado, fut grâcié, j'ai compris qu'il y avait deux façons de recevoir la chose. Ceux qui veulent être de la fête – c'est quand même chiant de bouder son plaisir contre la tendance – et ont un filtre mental sélectif réglé sur ''positif'' pour le souvenir, et ceux qui voudraient bien se régaler aussi, mais qui sont barrés par l'imperceptible préalable, ce détail qui conditionne tout. On le nomme ''vérité'' ou ''authenticité'', cela n'a en tout cas rien à voir avec dépréciation, compromission, dévaluation. Certains sont donc ressortis ébahis de cette soirée magique, faciès illuminé, quasi-hagards, bouleversés de ce qu'ils avaient vus... dans la magie bleu marine de ce crépuscule Sévillan où les ors de la tour éponyme chatoient dans les tourbillons du Guadalquivir. J'ai connu aussi et avec moi des revisteros charmés – on n'est pas de bois – qui y trempèrent leur plume. D'autres, frustrés de ne pouvoir être totalement heureux car, le détail qui tue, ce préalable en l'absence duquel rien de ce que l'on a vu n'est crédible, n'était pas au rendez-vous.


D'autres, contrits et frustrés, renfrognés et surtout tristes, très tristes, que Séville justement, un des « berceaux et des temples de la tauromachie » comme le dit mon journal, ait gracié un - disons le mot qui a été utilisé pour nous le dépeindre - manso, quoi que son torero en ait sorti par la suite. Un novillo commode, à peine adulte, qui ne rematait pas aux planches, sortait seul du peto et n'avait pas pour seul souci de montrer toute l'indignation de sa colère, mais cherchait à prendre querencia dans le terrain du toril. De ce qu'on en a lu et entendu de plumes averties espagnoles et françaises.



Grâce à Midi-Libre nous avons quelques avis de ceux qui y étaient :



Marie Sara :


Ce toro au fur et à mesure du combat, a démontré toutes ses fabuleuses qualités de noblesse et de rythme, et Manzanares a été tout simplement extraordinaire. Il a décliné la perfection de la tauromachie moderne. Obtenir la grâce de cet adversaire était pour moi une évidence. Nous avons vécu un moment magique et ce qui s'est passé le soir dans Séville peut difficilement se raconter. Les gens toréaient dans les rues !



Antoine Martin :


Ce toro, qui n'avait pas été grandiose à la pique, s'est révélé dans la muleta de Manzanares qui lui a servi la faena ideale. Ce fut un instant historique, que je peux comparer aux journées mémorables de Paco Ojeda dans les années 80. le climat de cet après-midi a été unique. Et celui de la nuit qui a suivi, aussi.



Jean Gabourdès :



C'est une date qui marquera. Avec Séville, c'est un bastion qui est tombé. Si la grâce est discutable, Manzanares, lui, ne l'est pas. Il a été extra.



Paul Hermé :



Si cette grâce a fait perdre à Séville ce qui lui restait de catégorie, ce qu'a accompli Manzanares est éblouissant. J'en ai encore la chair de poule.



En filigranes et à l'exception sans surprise de la blonde cavalière, on voit bien au travers de ces appréciations qui viennent crescendo, ce qui ressort : un indulto injustifié. Ce qu'à fait Manzanares n'est vraisemblablement pas à remettre en cause. On peut par contre s'interroger sur cette nouvelle obligation qu'il y a de lier une réussite du toreo à une grâce, comme récompense suprême. Certes, on admet que si toreo vibrant il y a eu, on le doit pour partie à l'allant et à la charge toute aussi vibrante d'un toro. Mais ce que je ne comprends pas c'est que jamais, je n'ai assisté à la grâce d'un très grand toro et pourtant j'en ai vu, sans que ce soit lié à l'obtention de trophées pour le torero. Et pourtant, quel rapport ? A chacun des six Guardiola Fantoni que dut s'envoyer un jour Nimeno II après qu'ils aient démonté la cavalerie, le peonage et un torero, 90% des maestros n'auraient pu couper la moindre oreille ce jour-là, tellement ils vendaient redoutablement leur peau ! Et alors ? N'avaient-ils pas chacun d'extraordinaires qualités de combattants, rarement vues, qui valaient la grâce ? Que doit être la grâce ? Un certificat exclusif de ''noblesse ferroviaire'', avec des charges bienveillantes et dégoulinantes de sécurité, ne risquant pas de blesser le torero ? Quel rapport avec l'appréciation des qualités de combat d'un toro bravo ? Certes encore, aux confins de la bravoure se loge avec abnégation la noblesse d'un don franc et massif. Ce qu'avaient aussi ces Guardiola mais quel handicap cela représentait-il qu'ils aient aussi des armes effilées, de la résistance, une faculté d'apprentissage plus rapide ? Les qualités de combattant exceptionnel d'un toro ne peuvent-elles s'exprimer que dans la mesure d'une réussite humaine simultanée ? Faut-il être con et couard pour être gracié chez les bovins ? Faut-il être veule et corrompu pour être l'enrhumé orange du palco ?



Présidents et assesseurs des places fortes à la philosophie radicalement opposée, que n'avez -vous pas encore eu la bonne idée d'envoyer un contre-signal puissant, de gracier (à y être, tant qu'à faire, et puisque c'est la grande mode...) un toro qui ne permit pas de couper la moindre oreillette tellement il défendait sa vie de façon brave et éperdue, de toutes ses forces, avec cette sauvage fixité dans le regard avec laquelle il fondait avec rage sur tout ce qui bougeait, ceux-là même qui nous tirèrent des larmes, qui reposent dans nos cœurs à jamais. Pourquoi ne les avoir jamais graciés, pour suggérer une fois pour toutes au public, la vérité brutale et essentielle, éclaboussante de sang, de relents de mort, de risques et d'enjeux vitaux, dans toute l'authenticité de ce drame, et interpeller enfin un mundillo dégénéré ne retenant que les ors triomphalistes de si médiocres oppositions. Pourquoi ? C'est une idée que je vous soumets, gracier un toro comme ça, ce serait revigorant au possible, ce serait mettre enfin en évidence le putain de détail qui tue...

3 commentaires:

Benjamin a dit…

Des mots bien soupesés pour exprimer l'enjeu exact de ce qui se joue, avec en filigrane cette nostalgie irrépressible du torista pour le toreo, Graal pour ainsi dire inaccessible devant le Toro de verdad....
Merci Marc !

Anonyme a dit…

On peut comprendre le combat qui se joue actuellement sur les indultos généreux ou non accordes dans les arènes. L indulto accorde est un ressenti sur le moment partage par le public. S il respecte le règlement et c est le cas pour l indulto sevillane il faut l accepter. Ceux qui étaient présent ce jour la décrivent tous le même état devant le spectacle présente. Il faut arrêter ce conservatisme qui pourraient être soit disant garant des valeurs de la tauromachie. Et si depuis peu on vivait une grande époque de tauromachie avec des grands toros et des grands toreros ?

Marc Delon a dit…

Le règlement, quand on l'applique fait dire à l'opinion que ses gardiens "manquaient de sensibilité" et quand on le contourne donne lieu à des tirades sur le nécessaire ferment de subversion dont tout Art doit témoigner...

Cela signe surtout une totale méconnaissance des toros ou un arrangement opportun avec toute ambition commerciale du spectacle.

A l'heure qu'il est, beaucoup de Sévillans pensent que cet indulto est une honte.

Je réitère ma question : faut-il abslumnt être un benêt couard pour être gracié quand on est un toro ?

cette faena m'a rappelé une extraordinaire prestation de paco Ojeda sur une jeune vache très naïve, en tienta, avec des enchaînements d'un autre monde qui l'a firent tourner en bourrique... avec un toro de caste c'était l'infirmerie assurée.