Plutôt Crever
Raisonnable,
non. Sacrilège, sacrifice, suicide, peut-être. Fallait-il qu'il
demande pardon à sa mère ? Aux enfants qu'il n'aurait pas ?
Eux aussi auraient pu se griser des émotions de la vie. La vraie,
qui cambrait l'ego et les reins, hérissait la peau au vent de
l'aventure. Pas l'étriquée, toute tracée, préconisée par la
cohorte des ''déjà morts'' prompts à vous y enfermer par leurs
conseils rationnels, une vie confite dans l'ambition ultime d'obtenir
la pension vieillesse. Elle garantissait la messe du dimanche, le cul
bien calé sur les bancs du curé à gober meurtri ses sermons
culpabilisants alors qu'on s'était rêvé prêtre exalté d'une
autre grand-messe païenne. On y communiait avec soi-même, ruminant
le secret de ses aspirations rabrouées, cœur éteint sous la
chemise blanche bien repassée et au poignet, une montre qui brillait.
Qu'on ne sache la lire et que, la routine comme viatique assumé,
jamais on n'ait osé convoquer l'heure de son propre épanouissement,
importait peu.
Alors
il s'est avancé. Les conversations ont cessé. Une main dans le dos,
traînant le capote. Il entendait la percale rouler les grains de
sable. Et l'incantation murmurée depuis les bouches stupéfaites. Sa
nuque emmenait tous les regards. A l'exacte frontière de l'ombre et
du soleil, il s'est agenouillé. Il n'était plus temps de prier. On
n'implorait pas le Dieu inflexible. Seule la fumée des cigares
n'était pas immobile. Et tout s'accélérait. Des bruits de bois qui
coulissent, de cordes qui glissent, de cornes qui cognent, de métal
qui résonne. Des contrastes d'ombre profonde et de lumière
aveuglante qui inversent leurs territoires. La terre qui tremble sous
les rotules. L'apnée. Une mosaïque de couleurs. Du rose, du jaune,
du noir et du blanc. Une palette de formes. Du plein, du délié, de
l'aigu et du bombé, filet de bave, mitraillage de sable. Souffle
d'abîme. Poussière de sépulture. Chaleur. Fusion. Fission.
Ivresse. Peur nue. Filles au cou. Montre au poignet. Pension à
chaque course. Sur les gradins, comme autant de jurés, les gens
applaudissaient. Mais pas les aficionados, pour qui cette passe ne
toréait pas. Il leva la tête vers ces spécialistes et les toisa
d'un regard panoramique. Il pensa :
je
t'emmerde, jury engoncé dans la lettre. Et l'esprit alors ?
Car
c'était exactement ça, être torero : tout risquer pour mater
plus fort que toi, attendre et provoquer ce qui venait, comme ça
venait, contre l'avis de tous, et vaincre soudain ce que rien ne te
prédestinait à vaincre. Ton audace exceptée.
10 commentaires:
Joli pied de nez Marcos.
Tes tripes, ta plume, ton coeur ...
Peut-être pas le gagnant du PH mais sur la plus haute marche du MD.
Olé tu, maestro .... !
pour moi, ils ont trouvé le texte un peu court!
Beau suicide, court et droit !
En l'écrivant j'ai pensé à cet élève qui pour l'épreuve de philo au bac, à propos d'un sujet sur l'audace, avait rendu pratiquement page blanche, se levant au bout d'une minute pour rendre une copie où il avait écrit :
L'audace ? C'est ça.
j'adore ce genre de panache. Il avait eu une très bonne note, lui... Je pense qu'au milieu de nombreuses nouvelles longuissimes, le jury, si on la lui a fait lire, aura aguanté cette porta gayola avec fraîcheur !
Après, qu'il ne soit pas assez torero pour la faire gagner, ça, ça le regarde !
Précision pour tous ceux qui lisent au premier degré : non je ne suis pas si prétentieux, je sais qu'il y a bien mieux que ça. Ne vous inquiétez pas...
Marc, un jour il faudra que tu saches...
Beau texte, riche de métaphores pertinentes, dense et vigoureux, bien accordé avec la colère du personnage.
La deuxième partie est superbe par son rythme : quand il devient binaire, on se croit dans les arènes au moment le plus esthétique quand il y a maîtrise totale du taureau avec la cape et ses couleurs qui flottent.
En revanche, les causes de l’indignation vont mal avec l’actualité, elles restent celles d’un ado incompris. A mon humble avis, c’est dommage.
Gina
"Marc, un jour il faudra que tu saches..."
et pas signé en plus... voici le commentaire le plus énigmatique jamais reçu par ce blog... que je sache... qui que quoi où pourquoi, putain !
que je sache... être encarté au front de gauche pour plaire à Laure Adler ?
que je sache... écrire !?
ben j'y travaille, hein... vous assistez à mon brouillon, jour après jour...
l'ado incon stant
pris
bustible
patible
L'ado
Emouvant
Inspiré
Révolté
Cinglant
Brillant
D’accord avec ce dernier commentaire.
Gina , on se suicide pour raisons personnelles qui souvent ( sauf pour ceux qui jouent aux héros ) sont personnelles, intimes, et pas pour les grands problèmes sociaux, économiques et politiques. Sinon, la planète serait vide depuis longtemps .
Mais, pour plaire à un jury, souvent, plus on remue les problèmes du monde, plus on a ses chances.
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