mardi 22 mai 2012

TOURISME


Moi et mon Piranha


Si j’avais un piranha, je l’appellerais Eusèbe, parce que je trouve que c’est un très joli nom pour un piranha. Sentimental comme je suis, je sais que je m’y attacherais très vite. Toute séparation serait un déchirement. Alors, je l’emmènerais toujours avec moi dans un petit aquarium de voyage. Il faudrait qu’il soit doté d’une poignée, pas le piranha, l’aquarium, comme ça, Eusèbe pourrait me suivre dans tous mes déplacements. Le soir, à l’hôtel, je poserais l’aquarium sur la table de nuit, et ainsi je pourrais voir Eusèbe en m’endormant. Et lui aussi pourrait me voir. Et nous serions heureux. 
J’y pensais vendredi dernier sur la plaça d’Espanya à Barcelone. La plaça d’Espanya, c’est cette place pompeuse qui ouvre sur la colline de Montjuic, la Fira de Barcelone et tout le tremblement. C’est une place moche. Ronde et moche. Avec une fontaine au milieu. Moche aussi, la fontaine. 
De l’autre coté, il y avait Les Arenas. C’était autrefois une arène, comme leur nom l’indique, une arène qui a été élevée par un architecte du nom d’Augusto Font et fut inaugurée le 29 juin1900. À l’affiche, il y avait Don Luis Mazzantini, un des rares toreros à avoir également été chef de gare, et Antonio de Dios Conejito, c’est à dire le « Petit Lapin ». « Petit Lapin », ça a quelque chose de ridicule comme surnom, surtout pour un rude gaillard comme l’était ce Conejito. Personne ne dit, et surtout pas le Cossío, pourquoi ce type a pris le surnom de « Petit Lapin ». C’est un des mystères de la tauromachie.  
Malgré la concurrence de la plaça del Sport, l’actuelle Monumental, inaugurée en 1914, ces arènes ont fonctionné, même si sur la fin ce fut plutôt plutôt caha que cahin jusqu’en 1976. Et puis on les a fermées et elles sont tombées en ruines. Des photos montrent les gradins couverts d’herbes folles : ça fait très Pompéi. Entre 1900 et 1976, j’y suis allé une fois, plutôt vers la fin, pour une novillada nocturne. Un certain Justiniano Blanco dit « El Zamorano » y officiait : il a coupé deux oreilles, et ce fut son jour de gloire.
Aujourd’hui, les Arènes ont conservé leurs deux étages de graciles arcatures néo-mauresques. Mais cette enceinte élégante a été coiffée d’un massif couvercle de cocotte minute, dôme de métal et de verre. Une fois là haut, on peut manger n’importe quoi, de la pizza au sushi. On ne peut pas manger catalan, et encore moins espagnol, mais ça ne dérange personne. On peut aussi se promener en admirant la vue, d’une hauteur de vingt-sept mètres. C’est un point de vue d’où l’on ne voit pas grand chose, il faut bien le dire. Enfin, bon, on aperçoit quand même les tours de la Sagrada Família. On peut y grimper par un ascenseur panoramique, sorte d’insecte de métal accolé au monument.  
L’intérieur ressemble à tout centre commercial de ce bas monde, de Copenhague à Pompertuzat, en passant par Singapour et Villetronche-la-Breloque. Il y a douze cinémas, des centaines de boutiques, des toilettes, des endroits pour se poser devant un café. Des dizaines de boutiques. Pour résumer, une boutique Intimissimi, une boutique Desigual, une boutique Nespresso (mais pas de George Clooney en vue, ni de marchand de piano au-dessus), une boutique Casas (mais pas de Simon). Bref, c’est comme partout, c’est comme nulle part, un concentré de ce monde sans saveur qui s’impose à tous, sous prétexte de mondialisation cet ersatz de culture qui nous tient lieu de civilisation, avec la musique imposée qui va avec. Comme si les Catalans, dans leur désir furieux de ne plus être Espagnols avaient choisi de ne plus être quoi que ce soit.
Dans un coin, je suis tombé en arrêt devant un stand d’ichthyothérapie. Il y avait là une Allemande replète qui trempait avec ravissement des pieds potelés dans un aquarium où officiaient de petits poissons censés boulotter ses peaux mortes. Elle poussait de petits cris de ravissement quand un des poissons venait lui lutiner les arpions.  
Et c’est là que j’ai éprouvé une grosse crise de manque en pensant à Eusèbe. Si je l’avais lâché dans l’aquarium, je suis sûr qu’il aurait mis un peu d’ambiance, Eusèbe. Dans cet endroit délibérément sans saveur, au moins, il en aurait eu un qui se serait tapé la cloche.

Pedroplan

13 commentaires:

Maja Lola a dit…

Jolie plume "invitée" Marcos ...
Ce texte nous en apprend beaucoup dans divers domaines, avec un humour empreint de finesse.

Pour le torero "Conejito" (?!) n'y avait-il pas, à l'époque, beaucoup d'apodos en "ito" ?
Quant à Mazzantini, j'ai lu dernièrement qu'il aurait passé une nuit torride avec Sarah Bernartd à l'Hôtel Inglaterra de La Havane, "combat" qui lui aurait "coûté" une lidia !
Pedroplan, Eusèbe me rappelle son copain Fulgence ... (aurions-nous les mêmes références ?)
En tout cas ce nom charmant et désuet est étonnant pour le baptême d'un féroce piranha ...

Anonyme a dit…

Entre Seville et Vic, juste le temps de laver les fringues, j'apprends des tas de choses sur ce qui s'est passé dans mon pays. Tout ce temps passé en Espagne m'a donné l'impression de vivre dans ce que sera la France en 2013.
J'ai quitté mes sévillans le coeur lourd après une feria "de almendras no de cigalas".
Le très bon texte de Pedroplan pourrait être suivi d'un autre, écrit par Christiane Taubira : "Moi et mon pire ragnagna". Cette femme me fout la trouille, elle a une tête de vipère ! Elle a sa place dans le "fondo de reptiles" de la Junta de Andalucia.
Allez roulez petits bolides !
JLB

PS : bonjour Maja Lola ! Mais était-ce Sarah Bernhardt avant ou après son amputation ?

Marc Delon a dit…

Ouais merci Pedroplan... parce que je connais des "envoyés spéciaux" en Ibérie qui se sont bien envoyés mais sont restés très spéciaux quant à leur production littéraire.... je transmets au 36 quai des orfèvres pour enquête...

Maja Lola a dit…

Bonjour JLB
Avant son amputation .... puisque le torero la rencontra à La Havana pendant la saison 1886 ...

Anonyme a dit…

Tiens,je l'ai raté le centre commercial de Pompertuzat mais en tant que voisin,allez voir juste à côté le Corte Lauraguès d'Escalquens.
En attendant,RDV à Vic

Tolosa

Anonyme a dit…

C'est une vraie promenade de guide touristique lente et précise, que le regard incisif de l'auteur ne magnifie guère. L'originalité serait plutôt dans le choix de l'animal de compagnie qui enlève tout son sérieux au texte.

Gina

Marc Delon a dit…

Tu as compris Pedroplan ? Avisa te qu'avec la Gina tu as une redoutable revistera de la moindre ligne que tu écriras...

Anonyme a dit…

Je pense avoir senti ce qu'éprouve Pedroplan, ce touriste pas ordinaire qui ne se contente pas de clichés, mais qui voit et juge clairement au fil de sa lent promenade. Le texte est d'autant plus original (et beau) que la ville s'efface derrière l'importance du piranha.
J'ai précisé, pas pour Pedro, mais pour Marcos !

Gina

el Chulo a dit…

tres joli texte pedroplan, et bonjour tout de même à jlb.
cet hotel semble plus convenable que d'autres maja!

Marc Delon a dit…

Ce Pedroplan en tout cas est pire qu'un torero question torture animale : filer des arpions boudinés de teutonne ménopausée à son petit animal favori... on voit bien qu'au bord de la mer ils n'ont pas de pitié pour les poissons.

Pedroplan a dit…

Ah, mais elle n'était peu-être pas ménopausée, ma teutonne. Boudinée, ça oui. Mais Eusèbe a l'habitude, il adore ça. lui. Zn tout cas, merci Marc !: je suis très très fier d'^êe publié sur le site...

Maja Lola a dit…

Je ne sais pas Chulo, je n'y ai pas dormi .... tout juste passé devant et photographié.

Mais je suppose qu'à la fin du XIXème il devait être à son apogée ...

Marc Delon a dit…

pas de quoi être fier d'être publié sur ce site à la noix tenu par un malade, pourtant... ;-)