La Curva de Galván
Tous les voyants étaient au rouge …. « no hay billetes » depuis longtemps. Une longue file d’attente à l’entrée du théâtre … « vous avez une place à vendre ? »
Théâtre comble donc pour le rituel, la messe Galván. Et l’antre scénique n’a pas déçu.
La scène du théâtre apparaît dépouillée de toute cloison, rideaux et autres paravents, pour dévoiler des murs bruts et meurtris par câbles électriques, raccords de plâtre et porte maladroitement maçonnée. Se crée ainsi une atmosphère brute et silencieuse avec chaises empilées (rapidement projetées au sol) et une table destinée à Ines Bacán et Bobote. En dissonance avec ce décor, comme échappé dans cet univers d’arrière-boutique trash, un piano à queue rutilant.
Et Galván danse. Il pense aussi, longuement … très longuement. Jamais comme ce soir on a pu sentir la dévotion pour cet artiste de la part de ses adeptes et la déception des puristes flamencos « canal historique ».
Car Galván ne laisse pas indifférent. On peut ne pas entrer dans son univers, mais il est impossible de nier sa vivacité créatrice, son univers particulier, la technicité hallucinante de sa danse.
Il joue de sa silhouette en « cassant » les codes du baile …. Ses postures si particulières (animalières disent certains) sont devenues la marque de fabrique du danseur. Axés autour de son corps-compas, ses membres dessinent des mouvements géométriques dans l’espace, gestuelle à la fois déroutante et fascinante.
Galván est un zébulon fou et onirique dans son inspiration. Par sa « folie » créatrice et sa gestuelle déroutante il donne matière à son art.
Et on se torture en conjonctures évocatrices de son « message » … alors qu’il suffit de se laisser tout simplement transporter par l’OVNI inspiré. En lâchant prise sur nos certitudes, en oubliant méthodes, académismes et « écoles » …
Galván est ce personnage à l’imperméable de gamberro callejero qui erre dans ce décor, hèle un taxi, fait salon en changeant de fauteuil pour se faire face en improvisant un dialogue … avec lui-même !
Un tapis de blanche et pulvérulente matière reste le point d’orgue scénique final. Blancheur poudreuse sur laquelle danse, saute, roule et se vautre le danseur dans une jouissance non retenue. Poudre qui amortit su zapateo, qui en étouffe le son, poudre qu’il brasse et projette vers le ciel pour se délecter de sa retombée sur lui-même … superbe image qui a dû être immortalisée par l’heureux photographe présent près de la scène.
Comme toujours, Galván ne donne pas les codes de la symbolique de son art. Poudre blanche du talc de l’enfant évoqué par la « Nana » doucement chantée par Ines Bacán ? Poudre blanche pour « inspirations » hallucinogènes projetée jusqu’à l’orgie ? Poussière de vie réduite en cendres de mort ?
Galván ouvre la porte à toute interprétation libre, créatrice et personnelle. Il est dans la contemporanéité originale et vraie. Malgré les apparences, rien d’abscons dans sa gestuelle et son message. Le flamenco est bien là par ses zapateos brefs et le « phrasé » de ses déplacements sur scène. Il est tout simplement doublé et servi par une codification particulière de la gestuelle de l’artiste.
La question reste toujours la même : peut-on y entrer facilement ?
Je me la suis posée tout au long de la soirée …. Allant d’une Ines Bacán matrone pura flamenca primitive statique et souvent silencieuse, un Bobote qui esquissera une danse pseudo-latino en corps à corps avec Galván (moment étonnant de fin de spectacle) et une pianiste qui tord, pince, martèle, torture les cordes de son piano, façon Boulez …
En fin de soirée, la magie a agi …. J’ai été convertie à la Galvanomanie … le « déclic » a été la fameuse chanson d’Atahualpa Yupanqui interprétée par la voix profonde et primale d’Ines Bacán …
« Por que no engraso los ejes, me llaman abandonao
….
Si a mí me gusta que suenen, pá qué los quiero engrasaos
….
Es demasiado aburrido, seguir y seguir la huella … »
Voilà. Galván ne suit pas LA huella …. Il crée SU huella. Qui n’appartient qu’à lui.
Maja Lola******Galvan, Bacan, Dukan
Avec Israel Galvan, j'ai le sentiment d'atteindre mes limites, peut-être parce que lui n'en a pas. Par carence, par lacune, par inculture, par petite mais constante allergie à la contemporanéité et à l'intellectualisme, au conceptuel, je me sens largué, hors de portée de la portée de ce spectacle. Dû moins dans l'instant où je le vois. J'étais prêt à écrire des énormités faciles comme je sais le faire. Me défouler. J'aurais pu vous dire que ce danseur de service aurait été bien apprécié à Göteborg peut-être, mais là, sans aucune référence identifiable à l'Espagne (pour moi...) je n'avais pu entrer...j'aurais pu parler de longueurs, d'effectisme, mais ce mot n'existe pas, de postures animales parasites, de héron cendré, d'égyptien profilé, de kata japonais ou de lame damassée. Autant dire que j'aurais pu me ridiculiser et apparaître tellement vulgaire mais à la faveur des rencontres au sortir du théâtre, j'entendais des voix dans le lointain. Des voix qui me disaient :
« Eh couillon, t'aurais voulu qu'on te joue des castagnettes peut-être ? »
Et la honte m'envahissait. En qualité de quoi étais-je habilité à rendre compte de ce spectacle en faisant tout un fromage négatif sur un artiste surdoué, alors que j'étais passé au travers de son art, aussi étranger qu'un politique aux aspirations du peuple ?
Mais pourquoi, c'est pas bien les castagnettes ? Ça claque comme les passions de ce pays, ça titille les émotions à répétition, ça imprime une cadence... Mais c'est vrai qu'il n'y a pas plus con qu'une paire de castagnettes. Y-a-t-il des virtuoses du petit instrument noir et agaçant ?
Seulement voilà, j'ai croisé la route d'une savante musicologue, érudite du genre, mâtinée Lacanienne, qui l'avait trouvé plus flamenco que flamenco. Qui a ouvert des pistes de sens profond. Qui me dévoilait peu à peu toute ma vulgarité au fil de la discussion. Seulement voilà, quand la très grosse dame à la voix monocorde avait chanté, ma voisine avait pleuré. C'était ma voisine de tendido et ma voisine tout court et c'est moi qui l'avait emmené. Au bar avant le spectacle, elle avait même laissé échapper dans un de ses élans de spontanéité qui font son charme qu'elle était heureuse, d'être là. Enfin quelqu'un que j'arrivais à rendre heureux ! C'est facile, parfois. Je connais peu ma voisine mais elle semble dotée d'une belle sensibilité. Juste avant qu'elle pleure, j'avais quand même noté qu'enfin cette complainte de la très très grosse dame triste posée comme un monolithe, était belle. Que fallait-il faire ? Saisir la main de ma voisine pour un moment rare d'humanité qui pouvait la gêner si je ne la relâchais pas à temps ou la laisser pleurer dans son coin, ce qui était la plus lâche et la plus pratique solution ? J'ai été lâche, c'était pratique. La vraiment très grosse dame qui ignore tout de sciences pourtant bien rodées comme l'endocrinologie ou la diététique, et laisse une obésité morbide l'envahir ce qui nous privera de son chant prématurément, à la voix jugée monocorde était Ines Bacan, la voix des voix, la chanteuse des chanteuses. Je pose alors une question, lecteur : quand on est LA dépositaire du chant profond inscrit au patrimoine immatériel de l'humanité a-t-on le droit de continuer à se bâfrer de beignets en tous genre et de migas pour raccourcir toujours plus son espérance de vie ? Puisque personne ne dit ce que tout le monde pense en l'apercevant ? Qu'en pensent les musicologues distinguées ? Que fait Dukan ? Et là où j'avais entendu de la monotonie, la musicologue avait perçue le sublime de l'épure. Elle parlait aussi de référence d'outre-tombe lors du zapateo enfariné, sourd, qui soulevait des nuages de cendres photogéniques. Il y avait aussi un piano dont-on jouait bien sûr d'avant-gardiste façon, sur les cordes, en y frottant des pianos-toys, peut-être... pour le faire miauler.
Soit. Mais alors, si en mettant en présence la voix des voix et le danseur des danseurs cela ne peut toucher que la frange la plus érudite des spectateurs tant le langage est conceptuellement ''capillo-tracté'', as-tu atteint ton but Galvan ? L'excellence doit-elle passer par un élitisme incompréhensible à la masse ? Car le public n'est pas musicologue, lecteur, il est public, charcutier, cheminot, dessinateur ou pire, kiné. A l'inverse, pourquoi un artiste aussi pointu, dans tous les sens du terme avec son physique de lame, entrerait-il dans ce genre de considérations réductrices ? Mais trop de symbolisme ne finit-il pas par tuer le symbolisme ? Oui, sans doute. Seulement voilà : ma voisine avait pleuré.
9 commentaires:
magnifique duo!
chacun dans son registre!
un grand moment d'internet!
a tous les radins du commentaire positif ou négatif :
merci chulo, ton encouragement est une poudre blanche où nous nous vautrons lola et moi voluptueusement - mais chacun son tour, oh ! - avec certes moins de grâce que Galvan (de peu pour Lola...) mais autant de balourdise que Bacan (pour moi...)nous en ressortons ego enfarinés en nous époussetant mutuellement...
merci à Ludo aussi pour l'autre fois.
Vautrez vous tranquilles. Nous admirons tant que cela nous laisse sans voix !
Du coup, je me lance dans des recherches sur l'art de la castagnette. Et voilà que je découvre qu'il y a, dans chaque paire, une castagnette mâle et une castagnette femelle. Un virtuose de cet instrument parviendrait-il à les faire se reproduire ? Mais en effet y a-t-il des virtuoses ? Voire des solistes capables de donner un récital de plus de deux heures ? Je continue à chercher.
j'y crois pas... pedroplan musicologue en castagnettes !
Tacatacatacatacatacata.... école de Jerez ou Grenade ?
Marc et Maja Lola tiennent un cabinet de mots ensembles et séparés. Ils disent qu' ils sont pas pros, qu' ils font ça comme ça pour la détente, le plaisir, ou la frustration, va savoir. En tout cas ils le font très bien, mieux que certains. Olé! L' air de rien comme ça, ça doit faire des phrases en cachette dans le noir du spectacle, pendant que moi perdida vecina de marc, estoy llorando. Lui il dit que ça lui a rien fait, elle elle dit y avait des longueurs mais j' ai aimé, bon plus indulgente la Dolores, plus touché surement. Le héron cendré ne touche pas que les femmes puisque intellos et autres retraités lecteurs de télérama ont applaudi, du moins c 'est l'effet que ça m' a fait en voyant que marc ne le faisait même pas une seconde. Alors se demander pourquoi et quel est ce public? un public ouvert curieux et conquis, porque no? moi pareil je suivais le rythme j' ai applaudi, et moi j' ai pleuré, et pas qu' une fois, c 'est mon affaire, ma vie, ma sensibilité mon histoire. Rien à voir avec la cu-culture, gestuelle contemporaine qui viole par moments le vierge flamenco puro, je n' en ai pas fait un drame, mais plutôt un décor de film noir, une atmosphère, une écoute, un son, un ton, la violence des corps, des cordes, la tristesse des voix, la rage au ventre,la douleur de l' artiste écorché vif, ses origines, sa famille, sa solitude, son art à lui qui dit foutez moi la paix vous qui me matez la, je vous sens, est ce que vous me sentez? moi oui et j' en pleure.
La vecina.
Rigolez, rigolez, mais entre le "Tan" émis par la castagnette gauche pour laquelle on n'utilise (sous peine d'excommunication) que le majeur et l'annulaire, et le "Tin" émis par la castagnette droite où les quatre doigts (à l'exception du pouce ) sont permis, le tout se fondant dans le "Tian" où les deux castagnettes s'unissent en un seul son, c'est quand même vachement complexe, tout ça !
Israël Galvan es un genio, punto y aparte.
Ines Bacan..." al pocito voy por agua..." comment ne pas se rapppeler son frère , si gitan et si ouvert, ce qui ici est synonyme d'abâtardissement. oui, mais joyeux, précis, fraternel,déchiré dans son rituel lancinant.Pedro fut une perte immense pour le flamenco.et Ines porte ses errements telle une Atlas tragique : sa voûte céleste délestée de Lebrija à sevilla,de Cadiz à Jerez ne bougera plus. .
Je l'ai trouvée, la soliste ! Elle s'appelle Lucero Tena et on peut voir (et entendre) sur Internet un concert donné cet été où elle est accompagnée par un orchestre symphonique.
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