dimanche 15 janvier 2012

Nîmes Flamenco Festival : Resena à deux voix



Seconde soirée flamenca au théâtre



Non, le Tomatito de la première ne m’a pas « saisie » (et les bulles n’y étaient pour rien).



Peut-être en attendais-je trop en sachant qu’il rendait hommage au légendaire Camarón ?



Il faut malgré tout dire que le public autour de moi était enthousiaste. Ne boudons pas le plaisir du plus grand nombre….



José de la Tomasa et Antonio Moya, couple fusionnel en osmose parfaite, nous ont offert du classicisme élégant et superbement en retenue. Une voix à la fois puissante et souple, pure, au phrasé clair. Por malagueñas, soléa, por seguiríyia, un cante de levante (minero), cante douloureux et jondo que la guitare d’Antonio Moya enveloppe et exalte.



Une bulería finale donne la « patá » qui aurait manquée à cette suite forcément brillante mais au quejío très (trop ?) appuyé.


Y El Capullo estalló !


Il arrive sur scène avec une énergie naturelle déconcertante. Il est chez lui (comme partout ailleurs certainement), s’adresse au public comme à des « potes » qu’il aurait quittés la veille. Sa crinière poivre et sel (plus près du sel d’ailleurs) adoucit et nimbe ses traits taillés à la serpe et son regard si particulier … Car monsieur ne joue pas de la prunelle enjôleuse mais nous allume un regard qui laisse entrevoir plus que des enfers …. des folies hallucinogènes.


Puis nous lance littéralement sa voix comme un poignard, rauque, con arena … avec « des agrafes au fond de la gorge » nous dirait Ludo dans un de ses derniers poèmes.


Capullo annonce la couleur, s’adresse à nous et explique, avec force clins d’oeils complices, que ce qu’il chante c’est la vie, notre vie, la sienne. Les thèmes classiques flamencos sont chantés avec la « Capullo touch ». La mère, la femme aimée, l’argent, la puissance, la sueur, la misère, la mort … Il nous éructe tout cela avec ses mimiques et tics, ses clins d’œil complices. Cet homme est un ogre qui nous dévore avec un naturel désarmant. Un ogre « seco como un palo » mais vraie pile électrique en surtension.


Qu’il se lève pour chanter hors micro au bord de la scène, qu’il esquisse des pas de danse inspirés, il émane de lui un naturel époustouflant. Pas de danse ? Parlons-en …. Il joue de ses pompes « péniches », de ses torsions de poignets par surprise, presque dissociées du tempo musical, là où on ne l’attend pas … un roublard, le Capullo, qui se joue de nous et ne se prend pas au sérieux.


Voilà pour le personnage … parce que pour le cante, il est dans le droit fil du « tío ». Il donne, puissant, énergique, lance ses mots comme des couteaux … pas pour tuer ni blesser mais par excès de générosité, par plaisir partagé de donner, nada más. Oui, il donne et nous recevons à bras ouverts « con alegría y palmas ». Les confortables fauteuils du théâtre sont mis à rude épreuve, le sol « donne » au « tacón » qui rythme. Debout, bissons, bissons le Capullo qui donne la pêche et sait certainement captiver les primo-initiés venus ce soir dans la salle … Une énergie universelle.


Olé, Capullo !


P.S. Je ne puis occulter un drame de fin de soirée : dans la folie des applaudissements, cris et « jaleo », ma veste s’égara sur les genoux de mon voisin … Effrayée qu’elle était (ma veste) par l’ouragan Capullo, elle trouva refuge auprès de sa veste voisine (déjà roulée elle aussi en boule).


Maja Lola


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Austère rigueur


Olé tonio, encouragement à l'adresse de son guitariste virtuose et délicat Antonio Moya, sera à peu près la seule exclamation de José de la Tomasa qui délivrera un cante de steppe aride, battu par les vents, triste, dont le seul horizon d'où qu'on se tourne est le vide, le désespoir, la mort. Brrrrr. Quand il annoncera à la fin de sa prestation raide et austère qu'il va chanter por buleria, la salle lâche un soupir de soulagement. Hélas, comment échapper à sa nature ? Il n'empêche, une belle voix et comme le dit le cartelito remis à l'entrée par un joli sourire : du savoir, de la puissance, de la rigueur.


Exhubérance inclassable


La constatation (comment échapper à sa nature ?) vaut pour le magnifique, le grandiose, l'improbable et terrible Capullo de Jerez. Madre mia qué type ! Vulgaire le capullo ? Laissez-moi rire ! Ce serait comme prétendre que l'Espagne est morne, sans fêtes ni passions, qu'on y célèbre jamais ni Dieu ni le toro, ni l'érotisme des danseuses. Le Capullo, est victime, de l'air de Jerez, il est au-delà de telles considérations, il est l'Espagne et l'Andalousie et cela n'est pas vulgaire. Elle est profonde, passionnée, malicieuse, nocturne, grave, légère, inattendue, possédée – il paraît qu'un bon texte n'a que peu d'adjectifs, tant pis il sera mauvais – renversante, exotique, joyeuse, contrastée, audacieuse, magnifique, ringarde, latine, eh, non, tout le dictionnaire n'y passera pas, complétez selon votre ressenti. Capullo nous annonce qu'il va chanter pour ceux qui ne sont plus et pour ceux qui sont encore. Coup de bol, nous faisons encore partie de la deuxième catégorie...


Un physique de coyotte qui aurait avalé un cintre, noueux comme une planche de chêne, sec comme une trique, monté sur des échasses, avec des grands bras terminés par des battoirs à faire taire la classe d'un instit débordé, une coiffure seventie de Bee Gees dégénéré encadrant un bouille tour à tour capable d'évoquer le pénitent, le clochard borracho, le fêtard halluciné, le complice déchaîné, putain capullo quelle dégaine ! Olé, putain ! Olé y Olé quelle soirée de merde on aurait passé si tu n'avais pas croisé notre route ! Quelle vision très graphique sur fond de rideau noir quand ses longs bras de grand brandinas halluciné se meuvent synchrones avec ceux des palmas, les frères Flores. Et Periquin à la guitare qui ne cesse de s'amuser de l'enthousiasme puissant du Capullo qui déteint sur lui. Et ces quatre là, qui se régalent d'être ensemble et de nous donner du bonheur sans omettre d'en prendre ! Car toi, lecteur avachi sur le cuir craquelé du canapé à regarder cette grande chiffe molle de TF1 présenter les trente plus grands mystères tu as raté le plus magnifique d'entre eux, celui que donne un type venu livrer son âme.


Capullo, c'est pas un cantaor de pédé ni un pédé de cantaor ! Capullo c'est l'explosion itérative, il sort les sons comme une mitrailleuse lourde ses balles de gros calibre, le percuteur qui les déclenche est un tisonnier qui brûle ses boyaux à chaque pulsion vocale. Un son qui dans la première seconde, évoque la déflagration, le métal en fusion, puis pénètre ta peau pour aller fouailler tous les organes sensibles et enfin se module et s'amollit jusqu'à la douceur et l'émotion pour s'instiller par les coronaires jusque dans ton cœur que tu avais pourtant bien caparaçonné pour le mettre à l'abri. Mais capullo, de sa gueule en biais, de son sourcil magique, de ses grimaces magnifiques fera tomber toutes tes résistances, une à une, pauvre de toi, pour t'emporter, inexorablement, dans les méandres de son andalousie qui l'ont imprégné pour te refiler tous les virus de la marisma. Tous ceux qui t'atteindront pour te contaminer, t'infecter par la joie de vivre, par l'intensité du bonheur, te faire sortir de toi, te rendre heureux, balayer ce qui ne compte pas, te transformer en bourgeon de printemps facétieux aussi capable d'éclore en plein hiver, tu serais Capullo, un type incroyable, magnifique, qu'on ne pourra jamais ''mondialiser''. Un type qui décide soudain de venir se battre corps à cordes en se passant de la sono, au contact du public terrassé sur son siège, puis qui danse, dévoilant sa taille de guêpe puis une main sur le cul pour lui donner l'impulsion du mouvement. Un type qui fera lever la salle et pilera menu toutes les réticences. Ma voisine, d'ailleurs, facies rayonnant et abasaourdi, lâchera un « extraordinaire !» évocateur. Un fameux caballero. Un grand cantaor. Olé tu madre ! Un cyclone. De Jerez.
















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7 commentaires:

Marc Delon a dit…

si, si... nous sommes éventuellement là pour bouder le plaisir du plus grand nombre si cela ne correspond pas à nôtre ressenti ! Vas-y boude !

el Chulo a dit…

ben rions!
la resena de "mi" querida maja, est une fois de plus une merveille.
gracias maja!
pour le reste beaucoup de choses doivent m'échapper, d'autant que je n'y connais rien, mais je n'ai jamais apprécié le cordobes, par exemple.
et méfions nous tout de même de simplifications abusives d'"hispanidad", ou de "gitanidad" ou "flamenquidad".
par exemple, je me demande comment à part la gestuelle, on peut apprécier sans comprendre ce qu'ils disent, en plus dans une langue qui leur appartient (sacrée condesa) et qui n'est pas à la portée du premier hispanisant amanteur venu, dont moi.
comme toujours je m'interroge!
je ne parle pas pour maja.

enhorabuena guapa!

Marc Delon a dit…

C'est la raison pour laquelle j'ai trouvé intéressante l'idée de confronter nos deux voix : celle de l'espagnole compétente, élégante, raffinée, délicate, classieuse, etc, etc avec la mienne, béotienne, à gros sabots, ignare, qui aime l'exagération et la caricature, etc...

Alors soit, chulo, je n'y comprends rien mais j'ai prévenu, et l'entrée étant publique il peut arriver que des types, dont moi, poussent la porte... et peut-être même que sur le plan d'un retentissement universel l'avis de celui qui découvre est parfois ethnologiquement plus intéressant !

Pardon, pour l'énorme prétention mais cela reprend l'idée d'Espla qui disaient que les taurins ne lui apprenaient plus rien depuis lurette, que seuls ceux qui ne connaissaient rien à la tauromachie lui révélaient des choses inédites sur elle.

Maja Lola et moi nous ne sommes pas à opposer, nous sommes comme les doigts d'une main massant dans le même sens, complémentaires et différents, procurant des sensations diverses (et variées !)

Maja Lola a dit…

Chulo, je pense que le flamenco véhicule une universalité accessible au plus grand nombre, si tant est qu'il y ait sensibilité et intérêt.
Certes, le non hispanisant n'accède pas à "la letra" (certains castillans non plus d'ailleurs ... n'oublie pas les étirements syllabiques et la particularité de la langue andalouse) mais je sais que le théâtre était plein de vrais passionnés avides de recevoir ce que les artistes transmettent et les silences respectueux puis les élans spontanés prouvent que quelques chose se produit dans ces moments-là.
Ces reseñas à deux mains sont intéressantes car Marc joue le jeu jusqu'au bout ... il ne lit pas la mienne et les met en ligne en même temps ... pour la surprise de la découverte des lectures différentes !
Ton post prouve que les deux provoquent chez le lecteurs des sensations variées mais pas en opposition.
Un beso flamenco para ti

Marc Delon a dit…

Rhôôôooooo... comme elle l'a toréé par le bas le chulo... et l'estocade finale avec le beso flamencôôôooo... moi j'y réfléchirais à deux fois avant d'offrir ma nuque... ;-)))

Chulo, vient passer le week-end l'année prochaine, et tu dormiras chez moi, ce sera plus convenable !

el Chulo a dit…

fais gaffe, je ronfle!

j'ai aussi bien précisé que en général je ne comprenais rien à la "letra" et que ça avait tendance à me géner. mais pour l'opéra par exemple c'est souvent la même chose.
donc va pour l'universalité!

Anonyme a dit…

D'accord avec Chulo. Lola quand elle se lance, elle est formidable.
Gina