dimanche 22 janvier 2012

NFF : Rocio Molina


Vinática

La scène du théâtre de Nîmes nous est devenue familière, dépouillée de son habillage et dévoilant les murs techniques et les entrailles sombres scéniques (Galván est passé par là !), comme s’il fallait nier tout décor qui évoque la trame du spectacle.

Seul un comptoir de bar devient le fil conducteur de cette Vinática prestation.

Et Rocío Molino approche, déambule et boit, s’attarde au comptoir, à la recherche d’une ivresse, d’un souvenir ?

Habillée d’un noir sobre, presque fondue dans ce non-décor sombre et peu éclairé, on devine quelque secrète surprise …

Avec une énergie et rapidité de danse époustouflantes, Rocío prend possession du lieu et ne lâchera plus les spectateurs captivés par tant de virtuosité.

Son corps est mouvement et garde du flamenco la posture de prise au sol solide et terrienne, jambes fléchies cherchant l’enracinement …. Mais surtout pas l’immobilisme car rythmé par des braceos et expressions du visage.

Elle occupe toute la scène, s’accapare tous les espaces, se déplace avec la rapidité du vrai duende des contes de fée, lutin facétieux et bondissant, pas celui qui sourd des profondeurs inspirées du flamenco.

Car Rocío est véloce et insaisissable. Sa gestuelle précieuse travaillée est celle d’une danseuse moulée par le classicisme académique qu’elle a eu sans doute comme école.

Son corps se plie, se tord, se laisse emporter par la musique en synchronisation parfaite, réglée rythmiquement comme une horlogerie.

Toute la lumière accroche son visage et la gestuelle de ses mains qui dessinent littéralement et inlassablement volutes, fulgurances et déploiements ondulants des poignets, se termine souvent par des arrêts secs du mouvement, comme voulant nous emporter vers le rêve et nous en frustrant avec brutalité …. Un verre de vin porté aux lèvres qui nous échappe brutalement et se brise.

Verre littéralement cassé que Rocío projette sur scène avec violence et qu’elle piétine au risque de blesser par projections les spectateurs du premier rang.

Quelle symbolique et quel message véhicule ce Vinática ? Il serait bien réducteur s’il se résumait au divin breuvage bachique …. Mais certainement plus opulent s’il évoquait les ivresses les plus créatrices et pourvoyeuses de rêves … c’est dans ce sens que je l’aurai compris ou interprété.

Rocío nous donne l’ivresse dans sa danse spectaculaire et diaboliquement minutée et maîtrisée.

Chaque geste, chaque déplacement, s’inscrivent dans l’harmonie musicale. Sa beauté et sa grâce, la virtuosité de son art sont à leur comble lorsqu’elle paraît habillée sobrement et parée d’un foulard qui la ceint évoquant quelque costume hindou, un tambourin lumineux entre les mains.

Des percussions aux sonorités rythmiques légèrement arabisantes ponctuent cette danse qui devient parfois sarabande. Un déhanché en cadence qui centre toute son énergie dans ce bassin enveloppé du foulard chatoyant, seul point coloré voulant être la seule cible visuelle, posture des jambes légèrement fléchies, pieds presque joints et genoux légèrement écartés évoquent une danse hindoue, l’exotisme est là. Puis un noir total et brutal présente le tambourin lumineux ondulant au rythme de la danse, objet lunaire vivant.

Rocío explore manifestement toute expression chorégraphique avec un travail évident de recherche de métissages harmonieux et l’obsession d’en tirer la perfection.

La « flamenquitude » de la gestuelle n’est pas tout à fait ignorée mais paraît comme assourdie. Lorsque la chorégraphie s’en éloigne, elle revient marteler par un zapateo, histoire de nous rappeler que le flamenco est encore là.

La performance est à ce point exceptionnelle que l’on oublierait le guitariste Edouardo Tassiera, géant, le chanteur José Angel Carmona à la voix pure et puissante et le compás de José Manuel Ramos exceptionnel dans une rythmique de nudillos sur le comptoir que Rocío et lui ont interprétée de manière magistrale.

La prestation de la soirée de clôture de ce Festival est sans nul doute exceptionnelle et Rocío Molina et Israël Galván resteront des « moments monuments » de ce cru 2012.

Faut-il avoir cependant la grossièreté (je pèse le mot) de dire que la virtuosité de la danse de Rocío réside dans une technique, une créativité, une beauté et une perfection du geste incontestables, mais que je n’ai pas senti le pellizco et l’émotion profonde que me procure le flamenco ?

Oui, lecteur. Vous pouvez bondir. Et vous amoureux de l’art de Rocío pouvez vous offusquer.

Mais j’ai assisté à deux spectacles « flamenco-créatifs-contemporains » de la nouvelle génération de danseurs talentueux où j’y ai décelé des similitudes gestuelles et scéniques qui me font (peut-être) craindre une « normalisation » ou « formatage » de cette nouvelle approche de la danse flamenca. Galván restant cependant pour toujours, je le pense, le maître de cette « movida » créatrice.

Mais ne jouons pas les réactionnaires primaires … Le spectacle fut total dans l’esthétisme visuel et la virtuosité chorégraphique, et aux commentaires élogieux et passionnés qui traînaient sur les marches de notre place de la Calade, il est prouvé que la programmation de ces artistes est une réussite totale qui aura donné émotion au plus grand nombre de spectateurs.


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J'ai lu Maja Lola avant d'écrire mes impressions et trouvant cette resena si parfaite, "cumbre", qui se hisse vraiment au niveau du spectacle qui l'a inspirée, je n'ai pas envie de la polluer de mes fantaisies habituelles. Juste dire quelques réflexions particulièrement bien senties dans les lignes qui précèdent. On peut effectivement admirer à juste titre les prestations d'ailleurs peut-être légèrement inspirées l'une de l'autre des deux parangons de la contemporanéité flamenca. Comment ne s'influenceraient-ils pas alors qu'ils doivent vraisemblablement attendre et boire la nouvelle création de l'autre avec délectation ? Mais Maja Lola pose le bon débat. Quand la virtuosité éloigne le pelizco, l'âme du flamenco est-elle visitée ? De la même façon que devant les toros un Enrique Ponce a souvent été parfait sans jamais me transmettre la moindre émotion, Galvan et Rocio Molina m'ont impressionné mais jamais ému.
La caste d'El Peregrino, la brutalité de la Kaita, la combativité de la Moneta, la passion renversante du grand Capullo de Jerez, et la déchirante interprétation de la Bacan voilà ce qui m'a donné le frisson. Maja Lola rajouterait peut-être le petit danseur fougueux dont j'ai oublié le nom ? Et je l'ai eu aussi, ce frisson, à la lecture de cette dernière resena de la Maja Lola ! Je veux ici lui rendre un hommage appuyé, elle qui n'a pas rechigné à ma proposition et s'est au contraire assignée dans la bonne humeur, corps, âme et intellect à rendre compte avec une extrême sensibilité et un brio à faire pâlir 99% des journalistes professionnels. On me pardonnera ou pas l'immodestie, mais je ne vois d'ailleurs pas d'équivalent sur le net concernant une couverture aussi exhaustive et désintéressée de ce festival, réalisée par plaisir et par passion. Evidemment, si j'avais pu faire des photos à tous les spectacles, cela aurait été encore mieux ! Gentille allusion pour l'année prochaine...
Il est maintenant grand temps d'aller digérer toutes ces émotions au soleil de la terrasse en tirant sur un puro de Cuba.


10 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour les photos et le partage de ces grands moments de musique et de danse.
Gina

Maja Lola a dit…

Puro de Cuba ? Qué origen ?

J'avoue avoir adoré l'aventure duettiste. Et au delà du plaisir de l'écriture des reseñas, des rencontres enrichissantes et originales ont fait vibrer ces soirées flamencas.
J'y ai notamment glané des lectures et dédicaces personnelles que je garde comme des petits trésors très personnels.

Je viens de lire chez Ludo (Los Pinchos del Ciego) un beau texte de Juan Vergillos (qui dirige un blog : Vaivenes Flamencos) et qui met à l'honneur ce Festival Flamenco de Nîmes qu'il a couvert ces jours-ci.
Je ne résiste pas à la tentation de traduire la conclusion de son article ...
"Dans notre atlas de géographie flamenca, le chemin de Nîmes reste signalé en lettres d'imprimerie car chaque visite de cette cité flamenca restera sans nul doute à jamais dans nos coeurs comme un temps gagné contre la mort.
Nîmes, la cité où la mémoire flamenca, latine, hispanique, taurine, gitane, méditerranéenne, vit et respire".

Et que l'on ne me traite pas de chauvine ....

Anonyme a dit…

Lola, tu as quelques raisons d’être chauvine. Même Laure Adler sur sa radio a parlé de Nîmes et de son festival. Ce n’était pas avec l’enthousiasme de vos deux voix dont vous ne pouvez que vous enorgueillir, car elle vantait le spectacle de flamenco du Châtelet comme si toute le France se transportait facilement de Nîmes à Paris et inversement…
J’ajoute que parler de ce qu’on entend me semble beaucoup plus difficile que de parler de ce qu’on voit. Il faut la poésie de Ludo, ou la compétence et l’art d’extérioriser ses émotions pour que le lecteur soit heureux de lire.
C’est ce qui s’est produit, même si on n’assistait pas au spectacle.
Et ce matin on a la surprise de cette apparition...photographique.
Gina

Marc Delon a dit…

Il parait que le spectacle de Rocio Molina a été encore plus "flamenco" que ce qu'on pourrait le penser : ses décors et ses costumes ne sont jamais arrivés à Nîmes... et elle a dû se débrouiller avec ce qu'elle a trouvé sur place... dix minutes avant le lever de rdeau c'était encore la panique parait-il...

Benjamin a dit…

Un grand bravo à tous les deux pour ces impressions partagées sur la toile. Un brindis tout spécial pour Maja Lola dont ce dernier texte en particulier fouille avec talent les rincones du ressenti, et l'évidence mystérieuse de l'émotion et de son absence.
Enhorabuena !

Maja Lola a dit…

Merci Benjamin.
Si vous êtes le jeune homme dont je fis connaissance il y a quelques jours, je ne suis pas étonnée que vous ayez été sensible à cette analyse émotionnelle ...

Marc Delon a dit…

Rhôôôô...cui-cui... nounours... bisou-bisou... je le vois rougir d'ici le Benji...

Maja Lola a dit…

Je trouve que tu roucoules beaucoup aujourd'hui avec te Rhâââ et tes Rhôôô ....
Gâteux-gâteux ?

Allez ! Durcis-la ta ligne éditoriale si ça te fait plaisir ... macho, sexo, toro.

On lèvera nos boucliers !

Marc Delon a dit…

ça devient désespérant, tout le monde s'aime... même JLB et Chulo maintenant...
ça va être d'un chiant sur la toile bientôt... ;-)

Marc Delon a dit…

Le jour où Klein et Chulo aiment le Dédé-du-Boucau, j'arrête tout !