mercredi 12 novembre 2008

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?

Robert Lacombe

Mon cher Marc,

Tu as posé une question simple et brutale et je suis sûr que ce n’est pas sans arrière pensée que ton esprit lutin a projeté de mettre dans un embarras certain les aficionados à qui tu t’es adressé. Tu le sais en effet mieux que personne, cette question simple et claire dans sa formulation ne peut que générer à l’opposé des réponses imprécises, difficiles, ambiguës, voire complexes et contradictoires. Même en faisant abstraction de tous les points techniques ou artistiques relatifs au seul combat de l’homme et de la bête, la démarche qui me pousse aujourd’hui à aller, même parfois au prix de gros efforts, dans les diverses plazas que je fréquente, est née bien entendu après le choc reçu lors de la première corrida que j’ai vue, à l’âge de cinq ans, au premier rang des torils bas, sur les genoux de mon grand-père. C’est sans aucun doute ce choc qui a installé chez moi ce centre émotionnel qui, plus de soixante ans plus tard, laisse intact comme rien d’autre une passion dévorante que j’assouvis chaque année une quarantaine de fois environ.
Sur ta question bien précise, j’ai alors longtemps réfléchi.
Plusieurs raisons secrètes et imprécises motivent mon aficion, c’est sûr, et il me faudrait sans doute énormément de pages pour expliquer "vaseusement" et en détail chaque sursaut, chaque impulsion, chaque motivation qui me pousse vers l’arène. Mes capacités d’analyste et de scribe ne me permettent cependant pas, heureusement, de les écrire toutes, mais je pense à la réflexion pouvoir t’en indiquer l’idée générale :
Je crois d’abord que la corrida est à la fois tellement simple et complexe, moderne et anachronique, logique et contradictoire, rituelle et actuelle qu’elle reste, dans sa parfaite matérialité un immense mystère. Et c’est je pense ce mélange de sentiments qui provoque en moi l’insatiable curiosité qui me pousse vers les gradas des plazas, même les plus lointaines, quitte à parcourir pour les atteindre des milliers de kilomètres.
Si le théâtre le plus confortable me proposait ce que je juge comme la meilleure pièce de mon auteur préféré, avec les acteurs que j’apprécie le plus, je serais assuré, sans l’ombre d’un doute, que je passerais une merveilleuse soirée. Si le stade le plus sophistiqué me permettait d’être présent à la confrontation des deux meilleures équipes du sport que je goûte le plus, je profiterais c’est certain, d’un spectacle inoubliable. Pourtant, même quand Las Ventas, la "Mecque" de la tauromachie, la meilleure plaza du monde affiche le plus prestigieux des cartels devant la plus redoutable des ganaderias, je ne suis pas pour autant garanti d’assister à l'événement tauromachique, et je peux même vivre sa négation.
Alors pourquoi aller si loin chercher l’impossible ? Parce-que la corrida n’est pas qu'un spectacle. Parce-que je pense aussi sans pour autant l’expliquer que c’est ça l’aficion. Au théâtre, dans un stade, les participants jouent, car ils connaissent ceux qu’ils affrontent, avec leurs forces et leurs faiblesses, et adaptent leur jeu en fonction de leurs opposants. C’est le cas de l’acteur face à son texte et à son public. C’est le cas du sportif face à son adversaire. L’arène est certainement le seul lieu ludique où l’adversaire, le toro, celui que je ne suis pas seul a voir comme le "Dieu de l’arène" ne se connaît pas lui-même, et oppose ainsi généralement aux toreros et plus particulièrement au matador, une lutte spontanée, inopinée et imprévisible. Il n’a jamais été question de jeu pour les toreros. On dit couramment qu’ils travaillent, mais je pense plutôt qu’ils récitent avec l’animal une prière païenne. Voilà pourquoi je vais personnellement à la corrida comme à une messe, et je pense que, si tant de gens l’aiment, même sans la comprendre et qu’elle perdure, c’est qu’elle demeure malgré toutes les attaques qu’elle subit de l’extérieur , et même hélas de l’intérieur, en partie, un mystère.

3 commentaires:

Marc Delon a dit…

J'ai un esprit lutin, vous aviez remarqué ?

Ludovic Pautier a dit…

remarquable réponse bergaminesque.
cher marc,tu ne nous dis jamais qui sont les auteurs des répon ses ? remarque à l'heure du story telling à outrance c'est peut être mieux.
en tout cas, i love your text bob.

ludo

Marc Delon a dit…

Si Ludo, c'est inscrit en haut au début du texte... le titre et l'auteur