Il y a dix-sept ans Christian est parti. Pourquoi nous en souvenons-nous toujours avec émotion ? Pourquoi une jeune femme de vingt-cinq ans qui ne l'a jamais vu toréer m'a dit être allée aujourd'hui fleurir sa tombe ? Il n'y a qu'à se rappeller les faenas de Christian ou lire les livres d'Alain pour comprendre. Je remercie Jean-Paul Mari de m'avoir permis de reproduire son article. Je n'ai par contre pas pu savoir qui était l'auteur de cette photo de PANOLERO prise certainement quelques secondes avant l'accident.
Nimeno s'est pendu chez lui, dans son garage. Il s'est tué comme un agriculteur usé qui décide que les choses doivent s'arrêter là. Avec le même désespoir, solide comme un bloc de pierre, de ceux qui vous entrainent vers le fond. Malgré l'amour des autres, sa femme médecin, ses deux enfants, et Alain, l'ancien torero, son frêre ainé, son semblable, son double ; malgré la fidélité de ses amis, l'admiration de son public et la pudeur de Nîmes, sa ville d'adoption. Ces derniers temps, Nimeno était devenu sourd et aveugle au monde extérieur, il vivait reclus, ne voyait plus personne, s'enfermait dans son monde, silencieux et discret, encore plus qu'à l'accoutumée, comme s'il se préparait à s'effacer complètement. Il était malade, malade d'un amour qu'il vivait comme une passion, quand elle n'embrasse plus rien et qu'elle n'est que douleur et souffrance. Le torero avait besoin des toros. C'était sa vie, il le disait simplement. En lui enlevant les toros, on lui a enlevé la vie. Son corps est mort à Arles, un jour de septembre 1989 quand un toro de Miura l'a cassé en deux. Il s'appelait "Panolero", pesait 549 kgs et ses cornes pouvaient couper un bonheur en deux. Il s'est contenté de jeter l'idole vers le ciel et de laisser retomber, sur le sable, un handicapé aux vertèbres cervicales brisées. Nimeno n'en a jamais voulu au taureau, il n'en a jamais voulu à personne d'ailleurs, il n'avait pas de revanche à prendre, il disait simplement qu'il "faut toujours aller jusqu'au bout de sa passion". Il est resté 44 jours dans l'obscurité d'une unité de réanimation, son coeur et sa respiration se sont arrétés deux fois ; on le disait perdu, il a survécu et lutté des mois en réeducation pour réveiller ce corps-momie. Quand le miraculé a retrouvé l'usage du bras droit et de ses jambes, quand il a recommencé à parler, à marcher, à se laver, à écrire... Alors, Christian Montcouquiol, dit Nimeno II, s'est remis à parler d'avenir, à rêver de toros et, pour la première fois, à sourire. A Nîmes, on s'est remis à espérer. On l'aimait. Ce n'était pas un héros même s'il avait un courage fou, ce n'était pas une force de la nature bien qu'il se soit fait un corps d'athlète. Il avait le visage long, grave, les yeux cernés de sombre, un visage de passion qui se muait en masque de cire griffé par la peur du vide au moment de s'avancer dans l'arène. Il était mince et fragile, comme un adolescent qui vit son amour mais ne sait pas en parler. Aux autres les discours, les analyses et les envolées ; lui vivait le mythe taurin, brut et sans recul. On l'aimait, parce qu'il était celui qui portait le rêve. Lui, petit français et grand torero, avait réussi à s'imposer parmi les tous premiers, à faire taire les impitoyables critiques espagnols, à imposer le respect au monde terrible de la tauromachie. On s'inclinait devant son absolue sincérité, cette intégrité presque rigide dans le rituel, cette façon de se mettre face aux cornes, à la mort, quelque soit l'enjeu, quelque soit le lieu. Huit cent toros combattus, dix huit ans de carrière, trente cinq corridas par an, sa statue plantée à l'entrée des arènes de Cancun au Mexique... Il impressionnait. Nîmes, les aficionados français, les jeunes toreros qui voulaient marcher sur ses traces, et les anciens, Simon Casas et Alain, le frêre, dit Nimeno I, ceux qui avaient ouvert la voie avant de s'arrêter le souffle coupé par leur propre audace, tous regardaient cet homme fragile et silencieux qui semblait dire : "c'est possible". Il était celui qui justifiait le romantisme des autres, leurs fantasmes, leurs plongées dans l'univers magique de la corrida, comme un mythe sans fond. "Ce qui rendrait l'équilibre à mon frêre," disait Alain son double, "ce serait de rejouer sa vie devant les toros..." On espérait son retour, c'était fou et absurde. A 37 ans, Nimeno était perdu pour les toros. Sa main gauche, celle qui trace les naturelles, restait figée, immobile. C'était fini. Nimeno avait fini par le comprendre. Il avait fait mine de se faire une raison. Puis il s'était retiré du monde des vivants. Il savait qu'il ne pourrait plus jamais se planter au soleil, les deux pieds dans le sable d'une arène, étendre la main gauche devant lui, accueillir le toro et regarder la mort défiler devant lui. Alors il a préféré partir avec elle.
JEAN PAUL MARI
10 commentaires:
Je suis allé deposer ces quelques fleurs roses sur ce marbre gris,triste,mais heureusement que son visage et son sourire illuminent toujours cet endroit aux grands arbres....
Je l'ai connu à travers divers histoires d'amis l'ayant cotoyé...
A travers les livres,les chansons,
a travers mon imagination....
Quand j'etais dans ce vent glacial d'un 25 novembre,je me retournais souvent,me disant que peut etre j'allais voir son frere et je serais parti en courant,ou je me serai ecarté de Christian,pour leur laisser ce moment intime et douloureux qui n'appartient qu'a eux...personne n'est venu.
Ca me rend melancolique d'etre allé le voir mais je suis contente de l'avoir fait,j'ai prié.Je l'ai remercié de m'avoir fait decouvrir tant de choses a travers tout ce silence...eternel...il est partit en accomplissant de grandes choses!
Un homme d'exception dans un milieu d'exception....LES TOROS.
Marc,
C'était un grand homme et un grand torero et me souviens d'une faena extraordinaire ou il avait poussé dans leurs orgueils Angel Teruel et Paquirri,sous un orage dacquois ou mes larmes de joie ne faisaient
qu'un avec la lluvia.
Salud Christian.
Et moi, je me rappelle un petit garçon, assis au premier rang, dans une classe de sixième ou de cinquième. Il devait traiter le sujet de rédaction « faites le portrait d’une personne que vous aimez ». Il n’avait pas comme les autres, parlé de sa mère, de son père ou de sa petite sœur, non, il avait parlé d’une personne admirable de gentillesse en citant des détails que j’ai oubliés. Il s’agissait de Christian Montcouquiol.
Malheureusement je n'ai pas connu Christian Montcouquiol,j'ai lu les deux livres d'Alain.Lorsque je suis arrivée à Nîmes j'ai habité au Mont Maragot,j'adorai cet endroit, sans le savoir j'étais au coeur de l'histoire de ces hommes,ma passion des taureaux commençait à mon insu, à l'endroit même ou Christian "jouait " au torero.
RV le 04 décembre à L'IT, rue Auguste pour une soirée littéraire (très agréable)le sujet ? "LE SENS DE LA MARCHE "d'Alain Montcouquiol
Chuuuut.......déjà qu'il n'y a pas bcp de places... y étais-tu pour la soirée d'Antoine Martin ?
Qu'il est agréable de lire et d'entendre de telles choses d'un être cher, hors du commun, et qu'on a tant aimé ! La générosité, le talent, le courage, l'honneur, l'humilité des vrais braves, le sourire, la solidarité envers les travailleurs, Christian était tout çà, et bien plus encore. C'est bon de le dire, de le lire, et pourtant, çà fait tellement mal de penser à lui...
Bravo pour ce blog que je découvre....bien après Bruno. Il pourrait nous faire signe, quand il y a des chouettes blogs d'aficion nouveaux
Marco,
Con tu permiso je veux simplement dire que les blogs de ton acabit faut les chercher,perso grosso modo j'en ai une centaine toutes langues confondues,les blogs "amateurs" sont mierdas.
Oui j'y étais, c'est même ce soir là que tu es devenu célèbre !!!,on nous avait annoncé la naissance d'un nouveau blog...
Célèbre...... pour les quatre personnes présentes.....qui n'étaient ni famille ni amis....
mais ça vaut le coup, j'ai deux copines de plus maintenant, Emma y Victorina ! Bloggeuses patentées !
olé torero!!
trop contente d'etre allé a cette soiree!!
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