Un dimanche à tuer. Un de ces dimanches où l'on se traîne sans but, habillé n'importe comment, avec ce qui traînait, et où il n'y a pas à sacrifier à l'effort de se laver et de se raser. Officiellement, c'est pour laisser la peau bénéficier d'un répit face à la tondeuse de feu et aux détergents dermiques en tout genre. En réalité c'est qu'on est bien dans son jus, de temps en temps. Mais ce serait sale de l'avouer dans la nouvelle société hygiéniste. Un dimanche où vous allez juste gâcher du temps parce que la semaine de travail vous a éreinté et la rédaction du blog vous a ôté le sommeil et qu'il faut bien changer de rythme pour récupérer. Qu'ils ouvrent leurs magasins s'ils veulent, je n'irai pas y dépenser une peseta. Ce matin dimanche, vous avez eu le temps de boire deux tasses de café au sucrage bien dosé et sans vous brûler la langue. Le café n'est pas passé entre le filtre et le porte-filtre. Vous avez eu le temps de griller du pain, de sortir la gelée de fraises des bois des vacances en Lozère de l'été dernier où vous restiez des après-midi entières plié en deux au milieu des fourmis rouges et des buissons d'épineux, à aider vos beaux-parents à cueillir douze kilos de fraises minuscules pour avoir droit au pot de confiture annuel. Ce dimanche, vous vous êtes enfin affalé dans le canapé de cuir gras, résolu à n'en plus bouger de la journée et au moment où vous entamez la lecture du "Monde des livres" acheté le vendredi et recherché en vain depuis, "quelqu'un" dit :
- Tu as vu ? Le soleil sort... On ne va pas rester enfermé toute la journée ! Où pourrait-on aller ? Ca ferait du bien à la petite de sortir un peu...
Oui... en plus vous êtes en charge de la solution : l'idée géniale c'est vous qui devez la trouver... Sinon, la petite, la-petite-chérie-d'amour-à-son-papa-à-elle, qui est venue vous faire la bagarre dans le lit à six heures du matin vous brisant menu vos attributs virils de ses petits talons pointus histoire de vous prouver qu'elle vous aime encore plus le dimanche que les autres jours ou vous avez eu toutes les peines du monde à la réveiller pour l'école, eh bien, si elle est pâlichonne, ce sera votre faute, si vous ne l'avez pas sortie...Oui !
- Et puis au retour on pourrait s'arrêter chez mes parents ?
- Ah ? euh... oui... quelle bonne idée...! ;-(
Ce matin, en se dépêchant depuis que l'idée a été émise, on arrive à partir vers midi et demi. L'aube, pour un dimanche. J'ai dit "Beauduc" comme ça, peut-être parce qu'aux rencontres photographiques d'Arles j'ai vu une expo qui avait le golfe sablonneux pour cadre. Sur la route, des buses sur les poteaux, des crin-blancs dans les prés, des taches noires lointaines, des rizières miroitantes dans le contre-jour. On passe devant la Chassagnette sans s'arrêter. Trop chic, trop branché, pas la Camargue que j'aime. Préfère l'auberge du Pin Fourcat où les poules chient sur les tables et caquètent entre vos jambes quand vous mangez... Et puis la rouille et la gardiane de la mamé, c'est autre chose. Le vestige culinaire d'un monde qui s'en va. Un conservatoire des souvenirs d'enfance des plats de votre grand-mère. Sauf que la mienne, enfin la seule que j'ai connue était alsacienne, ce dont j'aurais pu m'abstenir de vous entretenir pour une meilleure compréhension du texte. Quoique... le "biais" des grands-mères en cuisine, la façon authentique et simple de mitonner les plats du terroir, soit reconnaissable partout et nullement "étoilable" au Michelin.
Arrivés à Beauduc avec nos sandwiches, nous constatons que sur tout le site, nous ne sommes que trois : un fada de Kite-surfeur, nous, et un fort vent soufflant tout droit de l'ère glaciaire. Le type au cerf-volant a l'air de s'éclater ! Un coup dans l'eau avec sa planche, un coup dans un espèce de char à voile : et youpi, vas-y que je m'amuse comme un petit fou-fou : un sportif, quoi... Il a même réalisé une oeuvre d'art éphémère en bois flotté : merci, ça me fera toujours une photo. Beauduc et sa lumière sous un ciel immense. Où des langues d'eau et de sable se donnent des baisers salés. Donc promenade cinglante, ingurgitation des sandwiches au soleil, ramassage d'usage des coquillages ordinaires enrobés d'interjections enthousiastes entretenant l'illusion d'une découverte rare à montrer à mamie au retour. Classique. Fin de l'après-midi, reprendre les dix kilomètres de piste jusqu'à Faraman-City. Je n'invente pas, c'est le panneau du lieu-dit. Soudain, surprise, au bord de la route, des toros. Il est vrai que les terres de la Belugue sont là. Des toros de Charlotte et Quinquin Yonnet. On s'arrête et on observe en silence dans la lumière du couchant. Ils sont jeunes, s'ébattent entre adolescents. Ils ont encore le regard doux et naïf des innocents. Ils sont tout près, juste de l'autre côté du fossé. Celui-là se dresse tellement tout en courbant l'échine, qu'il ressemble à un dessin du grand méchant loup de mon enfance qui voulait croquer son torero, un petit chaperon rouge muleta. Un moment magique qui valait le déplacement. Dire que certains voulaient rester affalés dans leur canapé.
2 commentaires:
Sympa, j'aime beaucoup mieux ce genre....de litterature , bien sûr !!!!!!!!!!!!
Je hais les dimanches pourrait dire Marc qui ne fait pas ce qui lui plaît qui ne peut se traîner tout négligé sur son canapé, qui ne peut esquiver les corvées familiales, dominicales ou estivales.
Tant mieux pour nous : cela nous vaut de belles photos, quelques lignes pleines d’humour et de sincérité, une évasion pas seulement en Camargue, mais dans le temps, quand les enfants sont petits, exigeants, insoucieux de nos désirs de paix et de sommeil ou de lecture ; le temps où les mamans ne pensent qu’à la santé et au loisir des enfants, où les grands-mères faisaient des confitures et de la vraie cuisine.
Finalement, ce dimanche est réussi, les femmes comblées, les animaux ni dérangés ni intimidés, les blogueurs plus que satisfaits et vous aussi, Marc.
Enregistrer un commentaire