Ce week-end il a fallu trimballer nos carcasses voûtées d'un chagrin inconsolable, errer le long d'allées ventées et humides, arpenter des cimetières lugubres sous un ciel de circonstance, pour sacrifier au rite du souvenir. Près d'une poubelle où je jetais des emballages, deux petites vieilles étaient encore une fois venues se familiariser avec leur prochaine demeure et commentaient le spectacle alentour :
- Tu te rends compte... ils ne sont même pas venus fleurir la tombe !
- C'est bien la peine de se faire du mauvais sang pour les enfants, tiens....!
Ah bon ? Il y aurait donc un "qu'en dira-t-on" des affaires funéraires maintenant ou cela a-t-il toujours existé ? Un observatoire oecuménique de l'état des caveaux qui renseignerait sur la moralité des gens ? Et charrier sa tristesse tous les jours de l'année ça ne suffit pas ? Et si on met un petit cyclamen ça signifie peut-être qu'on aimait moins le défunt que si on a installé un énorme chrysanthème, c'est ça ? Et si on avait envie de fleurir la tombe le premier avril, ou encore tous les autres jours de l'année sauf celui de la Toussaint ? On est un marginal subversif ou un malade mental ? Ce sont les mêmes, qui geignent sur leurs douleurs bénignes à longueur d'année, sollicitant votre compassion et vous demandant d'accréditer que leur souffrance est la pire. De temps à autre il faut leur rappeler que leur mari mort il y a dix ans, aimerait bien sentir cette douleur de vivant. Elles sont reparties bras dessus, bras dessous, après avoir rangé leur balayette et leur petit arrosoir, claudiquant dans l'allée centrale, oh, pas loin, jusqu'à leur banc favori, en ce jour intense, acmé de leur année de balayage de pierres tombales et d'observation des allées et venues. Des ethno-sociologues amateurs, quoi... Devant la tombe il y a une souche de cyprès. Je m'y assois souvent sur cette invite à la pause, et dans les rafales de vent mauvais, sous la pluie agressive, je me suis télétransporté jusqu'au plus joli des cimetières que je connais, tout blanc, baigné de lumière, avec la Méditerranée à ses pieds, celui de Cadaques. Je ne manque jamais d'aller y faire un tour. Beaucoup de mosaïques de carrelages viennent sceller le "tiroir à cercueil'' signant d'un raccourci poétique ce qui fut le hobby du défunt ou sa singularité. En jetant un regard par le mur d'enceinte, on plonge dans la baie de Port-Lligat, on aperçoit la maison de Dali sur la gauche, avec son gros oeuf sur le toit et, idée surréaliste, vient le sentiment que ce serait un bel endroit où déposer son cercueil suisse tendance écolo, en carton "amidon de maïs et pommes", de terre, évidemment.
2 commentaires:
Ne soyons pas naïfs. Se promener parmi les Morts que, mathématiquement parlant, on rejoindra plus ou moins tôt, n’interdit hélas, ni la médisance, ni la suffisance qui meublent, autant que les gémissements chez un thérapeute, les existences déclinantes. Ca s’appelle vivre, pas reposer en paix.
En revanche, même si tout le monde, - comme Valéry ou M.Delon - ne songe pas au cimetière marin, reconnaissons que les pierres tombales ne sont pas lugubres quand la lumière s’accroche sur d’éclatants bouquets, plus ou moins humbles, volumineux ou traditionnels. C’est toujours un souvenir ému qui les a déposés.
Merci pour ce commentaire.je rappelle qu'il serait plus convivial qu'on reconnaisse au fil du temps qui écrit quoi... on peut signer d'un pseudo : tiens, je vous baptise Gina (je subodore que vous êtes une femme...)
A bientôt donc, "Gina" !?
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