mercredi 28 janvier 2009

REGARDER LE TORO



Voyez comme il est compliqué de regarder dans la même direction. Voyez les militants d'un même parti s'entre-déchirer, les salariés d'une même entreprise se jalouser, voyez comment dans cette communauté pourtant minimale qu'est le couple, les individus cherchent à s'affirmer et en viennent avec le temps à considérer les traits originaux qui les avaient autrefois séduits, comme d'insupportables manies. Alors les aficionados, pensez... Eux dont le sport favori est la joute verbale, la polémique, en permanence nourrie par les mille pierres d'acchoppement du champ infini de la tauromachie, comment voulez-vous que l'unanimité se crée ? Différences techniques, stylistiques, zoologiques, philosophiques, en faut-il encore il en reste : culturelles, mémorielles, le tout passé au filtre de la sensibilité, de l'éducation, des peurs, fantasmes, désirs et résonnances insondables. Jadis, tout ce petit monde se réunissait sur le dénominateur commun d'une idée de base, limpide et irrévocable : le toro devait être fort, sauvage, agressif. Tel était le postulat de base, le centre de tout et on s'arrangeait pour graviter chacun à sa place autour de cette évidence parce qu'à cette seule condition s'instaurait la beauté de la prééminence de l'idée sur les forces obscures de la mort.
Plus que la reproduction programmée d'un art imposteur pour auto-entretenir médiatiquement le cirque, comptait alors comme l'explique Michel Del Castillo de
"se reconnaitre mortel afin de jouir à chaque instant avec une intensité frénétique". Il indique aussi que "dans leurs critiques, Blasco Ibanez et les amis des bêtes, toutes les âmes sensibles, ont raison. Mais ni la corrida ni la vie ne relèvent de la raison, laquelle rejette la douleur et la mort, refus qui n'a jamais empêché les hommes de souffrir et de mourir (voir UNAMUNO). On peut se satisfaire de cette tartuferie : cacher le sein qui fait scandale, c'est à dire endormir la douleur, escamoter la mort. L'Espagne choisit de ne rien dissimuler, mais au contraire, de tout magnifier, y compris l'horreur. ...Si la corrida est devenue la fiesta, la fête par excellence, c'est qu'elle célèbre le triomphe de la vie sur la mort. Victoire illusoire ? Certes. Mais l'art n'est-il pas la plus nécessaire des chimères ? "
Il m'avait bien semblé déceler en mes amis d'irréductibles jouisseurs, amateurs de flacons précieux de Bourgogne et d'ailleurs, fines gueules hédonistes et addicts d'émotion fortes et rares. C'est d'ailleurs pour cela que je les aime. Mais je m'aperçois aussi que l'époque produit des jouisseurs petits bras, plus masturbateurs compulsifs, qu'amants flamboyants. Des handicapés de la polémique, édulcorés de la prise de position, des consensuels mous, inaptes à supporter le moindre derrote mal élevé puisque empêcheur de cette écoeurante suavité étonnamment nécessaire au plaisir de leur orgasme hypocrite (l'amour est-ce que c'est sale ? Oui, quand c'est bien fait... Woody ALLEN ) Ceux-là ne regardent pas dans la bonne direction et n'ont pas fini de faire du mal à la fiesta brava. Pour un petit garçon éveillé qui montre la direction tout en contrôlant la situation, il toise le photographe, un autre regarde le doigt et le regard du troisième s'égare de l'essentiel. Aimer la corrida, c'est montrer les qualités du toro qui combat, pas les aptitudes à collaborer de la dégénerescence sélectionnée. Il faut arrêter les moissons de trophées récompensant les farces et autres scandales qui plongent le public dans l'incompréhension et le contresens. Il faut éprouver la fascination des origines pour le plus beau des fauves et accepter de regarder dans les yeux la peur, le danger et la mort qu'il inspire et surtout, jouir de l'intervalle ténu qui nous sépare de la nuit froide où plus aucun regard doux, plus aucun toro de sa foulée magnifique ne nous aidera, et pour cause, à nous sentir vivants.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Le pire, sur cette photo, c’est que celui qui tend l’index est le seul à ne pas regarder ce qu’il montre, préoccupé qu’il est, le petit mâle, par la pose du regard sur l’objectif. Un vrai petit chef ; le plus petit sera-t-il un « handicapé de la polémique » et le plus grand un « consensuel mou » ?
Il faut de tout pour faire le monde d’une jolie photo.
Gina

Anonyme a dit…

Marc,

Perso et en plaidant coupable ,je pompe plus rien et je viens d'escribir sur un blog voisin car j'en ai plein le cul,...pardon Gina !!de ses guerres intestines qui n'honorent personne et salissent l'aficion.
L'idiot du village

Anonyme a dit…

La déclartion de Del Castillo me plaît ainsi que le fond de ce que tu défends. Mais sans doute Bruno a raison: pourquoi pointer du doigts les mous, flasques ou autres déliquescents pour donner du relief au propos ? Bon je sais, quand on adore la polémique mais alors autant y aller carrément... Et puis un doute concernant Del Castillo: si la vie souvent est tout sauf raison (heureusement), il arrive quand même à la Raison (la vraie, l'historique, pas la myope...) d'envisager aussi la mort et son cortège de joyeusetés, non ? Et puis, pourquoi le petit garçon à gauche ne serait pas le rêveur de service, donc le seul lucide, quasi impossible à embriguader et éminemment sympathique...
Benjamin