samedi 3 janvier 2009

UN TORO SINON RIEN



Histoire vraie : Il était une fois, sur l'île de Madagascar dans un estancot de bord de route. Une construction en matériaux de récupération, de vieilles planches mal clouées, des bidons aplanis, du plastique; tout ce qui traînait, inemployé, a fait profit. Deux couples de Français viennent de s'y arrêter pour se rafraichir. Ils attendent que le nuage de poussière se dissipe pour descendre du 4x4. Les femmes entrent d'abord en s'éventant avec leur chapeau à larges bords.

- Bonjour monsieur... Alors, nous voudrions boire un...
- Demandez plutôt ce qu'il y a madame, vous risquez moins d'être déçue... alors j'ai du rhum Dzama, du ranon'ampago, du jus de Corossol, du betsa-betsa, du trembo et du toaka gasy, qu'est-ce que je sers ?
- Rhum pour nous, disent les hommes en reprenant leur discussion
- C'est quoi le ranon'am, là... ?
- De l'eau rebouillie dans la casserole du riz, avec sa croûte brûlée au fond...
- Oh ? Bon... alors s'il n'y a rien, je...
- Il n'y a pas rien, il y a ce que je viens de citer.
- Oui...eh bien, je prendrai de l'eau fraîche alors...
Le type pose une carafe vide sur le comptoir et dit :
- Je n'en avais pas parlé... Le sentier part à gauche, monte sur la crête et dans trois kilomètres la source est là, vous l'entendrez
- Vous plaisantez ?
- Non, pourquoi ? Vous voulez de l'eau, je vous indique où vous pouvez en trouver.
- Comment ? Vous n'avez même pas un robinet d'eau courante ?
- Vous avez bien compris, madame
Les femmes échangent des regards catastrophés... puis, après conciliabule navré, formulent avec de l'impatience dans le ton, une nouvelle requête :
- Donnez-nous deux décaféinés s'il vous plait...
- Qu'est-ce que c'est ?
- Eh bien, vous savez bien, du café sans café...
Là, le type arrête net son mouvement circulaire d'essuyage de verres, la fixe intensément de ses grands yeux noirs et dit :
- Du café sans café...? Pourquoi t'en veux alors ?
Eh bien moi je dis que ce type est un torista qui s'ignore. Il ne supporterait pas un toro sans forces ou sans cornes, un toro sans agressivité, un ersatz de toro honteux seulement capable d'un rôle de composition pendant un simulacre de pique. Il ne ferait pas partie de cette foule qui proclame des triomphes pour des faenas données à des invalides au seul prétexte d'une suavité qui n'est objectivement que de l'impotence. Parce qu'il est un homme vrai aux raisonnements simples qui reposent sur des bases saines. L'Evolution ou plutôt son manque, n'a pas encore perverti spécieusement sa logique. Certains objecteront qu'intellectuellement, je joue petit bras, que trois passes de javier Conde ennoblissent cet art plus que quarante combats de fond des ruedos, que l'art se doit d'être transgressif pour mériter ses lettres. Mais justement, discutaillons alors : donne-t-on du chamallow à façonner au burin du sculpteur ? Fait-on monter des handicapés sur le ring ? Et qu'y a-t-il de plus transgressif que d'arriver à tordre d'un chiffon doux, la force brute et obstinée d'un toro puissant ? Qu'y a-t-il de plus conventionnel, ennuyeux, voyeuriste, indigne, que d'essorer un peu plus une bête sortie sans jus ? La morale de cette histoire ?
"Si vous avez envie d'un café, buvez-le" ou bien "Ne payez pas pour avoir pitié des toros bravos" mais on en aurait préféré une plus saine, logique et authentique, malheureusement devenue caduque :
"Si vous ne voulez pas voir un toro de combat, n'allez pas à la corrida".
Le genre d'aphorisme honni des empresas. Le pire serait que se généralise celui-ci :
"Si vous ne voulez pas voir un toro de combat, allez à la corrida !"
On en tremble déjà...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

anecdote savoureuse ma foi, mais pourquoi toujours attribuer les certains méfaits de l'humanité dite moderne au bouc émissaire qu'est le progrès, l'évolution... N'est-ce pas elle qui nous a apporté ce rituel incroyable qu'est la courses des taureaux braves ?
Benjamin

Marc Delon a dit…

je salue le coming-out tout d'abord de Benjamin sur mon blog... Salut ! et c'est vrai que tu étais avec moi à Céret quand il nous a "souhaité la bonne année" !

eh bien regarde pour la course de taureau : au début c'était arriver à le tuer sans qu'il ne te tue : une sorte de priorité à l'idée de verticalité sur la grande probabilité d'être emporté par la charge. Une résistance Prométhéenne, un défi au destin. Et maintenant ? Raboter l'aléatoire, canaliser le danger, préparer au mieux les conditions de l'accord suave, plus que combattre !
Alors ce type, là, l'aubergiste malgache, son esprit n'est pas assez perverti pour qu'il arrive à comprendre qu'on puisse désirer boire un café décaféiné. Il ne lui viendrait donc certainement pas à l'esprit de servir une papaye dépapayétisée ou s'il était empresa de produire des toros incapables de subir trois piques : et donc il me plait ce type ! Le manichéisme parfois c'est rassurant !

Xavier KLEIN a dit…

D'abord qui c'est cette Madame Gascar qui reçois si mal dans ses bistrots où ya même pas un ricard, encore moins d'eau, sans parler des glaçons?
Dis donc ami Marc (alitération en m), elles seraient pas un peu du genre Marie Chantal tes rombières?
Elles me font penser à une bergère de ma connaissance, qui avait envoyé une lettre de réclamation à l'ambassade du Sri Lanka parce qu'un con d'autochtone, pauvre de surcroit (c'est presque un pléonasme) avait eu le mauvais goût de venir claboter devant la table où elle prenait le thé vespéral.
Aucun savoir vivre ces gens là...

Anonyme a dit…

Moi aussi il me plaît ! Je pensais simplement à l'avant corrida, quand l'idée de combattre à pied n'avait pas encore germé dans quelque esprit rondeño...
Benjamin